Thomas n’a pas une tête à s’appeler comme ça
Jeudi 12/03/2009 | Posté par Rima Lmouaci (EJCM)
Le prénom relève du choix des parents. Entre effet de mode, pragmatisme et tradition, il fait souvent l’objet de longues tractations. Et certaines familles d’origine maghrébine font le choix de prénoms «francisés». C’est l’histoire de Thomas.
Le prénom est très important pour se créer une identité. On en a tous un, on le garde toute sa vie et il participe à notre construction personnelle. Même dans la vie professionnelle, le nom de famille semble prendre de moins en moins d’importance, en faveur du prénom. Alors qu’il devient une véritable carte de visite, emprunt d’une histoire, d’une origine ou d’une spécificité, pourquoi certaines familles maghrébines coupent la lignée de prénoms arabisants pour des consonances plus européennes?
Alors que l’originalité a la cote, les parents d’origine maghrébine cherchent des alternatives pour leurs enfants. Il est vrai que certains prénoms paraissent aujourd’hui obsolètes, ceux que tous les grands parents ont portés : Ahmed, Ali, Fatima ou Aïcha. Et même s’il est de tradition dans les familles musulmanes de prénommer Mohammed le premier garçon, la pratique tend à disparaître dans les familles de jeunes beurs, plutôt à la recherche de prénoms «qui passent bien, pas trop typés».
La langue arabe regorge de prénoms aux sonorités orientales, métaphoriques et parfumés. Mais ces dernières années, les prénoms qui semblent se diffuser sont plutôt ceux qui ne sonnent pas trop étranger. Pas étonnant alors que les statistiques montrent une profusion de Rayane, Mélissa, Célia, Inès ou Amel : plus en accord avec la double appartenance culturelle ?
Dans la nouvelle génération de petites filles d’origine maghrébines nées dans l’hexagone, on trouve de nombreux prénoms « passe partout » : Linda, Sabrina, Vanessa, Sarah, Maria ou Sonia…Pour les garçons, le choix est plus restreint. Alors, quand les futurs parents ne trouvent pas leur bonheur dans les prénoms arabes, ils font leur «shopping» ailleurs, dans les prénoms français, avec l’objectif de faciliter l’avenir professionnel de leur enfant en France.
Pourquoi pas Thomas?
C’est le cas de Khadidja, une jeune mère Kabyle qui a fait le choix il y a douze ans, d’appeler son fils Thomas. «Je voulais lui faciliter son intégration et son ’insertion professionnelle, explique-t-elle. Et j’avais peur qu’il soit victime de discriminations à l’école, et plus tard à l’âge adulte». Aujourd’hui elle le regrette amèrement car Thomas lui reproche ce choix. Fier de ses origines algériennes, il se sent différent du reste de la famille. Un peu comme si la chaîne était rompue.
D’ailleurs personne « au bled » n’a accepté ce prénom, et lorsqu’il s’y rend pour les vacances, on ne manque pas de le faire savoir à ses parents. Le plus embêtant pour lui, c’est qu’un prénom ne changera pas ce qu’il est, et cette réalité lui est rappelée au quotidien. Pré-ado aux cheveux et aux yeux noirs ébène, la peau claire mais qui bronze dès le premier rayon de soleil, il dégage un physique à l’oriental.
Alors partout où il passe, à l’annonce de son nom et son prénom, on l’interroge. «Mais tu es de quelle origine ?» et quand il répond il arrive qu’on lui demande «Pourquoi tu t’appelles Thomas ? Tu as été adopté ?». Comme si «ça ne collait pas» ! C’est vrai que Thomas n’a pas une tête à s’appeler Thomas !
A la question avantage ou fardeau le jeune garçon associe son prénom à la deuxième option. Mais; quand il arrivera dans le monde du travail, la tendance aura peut-être changé! En attendant, on constate aujourd’hui qu’un candidat d'origine maghrébine a environ trois fois moins de chances d'être convoqué à un entretien d'embauche qu'un homme portant un nom ou prénom à consonance française*.
Difficile pour ces futurs parents de choisir, tiraillés entre culture, tradition et réalité du terrain. L’enjeu n’est pas seulement esthétique, il est aussi social. De la même origine, et à compétences égales, Thomas aura t-il plus de chances de réussir professionnellement que Mohammed ? La question reste entière.
* Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations à l’Emploi selon le premier baromètre national de la discrimination à l'embauche (baromètre Adia)
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