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Marcher sur la Méditerranée

Mardi 20/12/2011 | Posté par Christine Gorce

Jusqu’au 27 décembre, au cinéma Les Variétes, Sabine Réthoré présente "Méditerranée sans frontières", une carte de 3,20 mètres sur 6, posée au sol, que chacun peut arpenter à loisir. Christine s’y est promenée.

Une fillette gambade en chaussettes roses sur le bleu pâle de "Mare Nostrum" : "j'ai pied partout !" De bas en haut, elle peut ainsi couvrir en moins de dix secondes les 3860 kilomètres reliant Rostov à Gibraltar. La carte est posée sur le sol, on est prié de retirer ses chaussures avant la traversée. Une seconde fillette essaie un pas de danse sur la mer Noire, une femme cherche son lieu de naissance, un gamin désigne victorieusement Aubagne qu'il vient de découvrir en remontant vers le haut : le jeu de piste fonctionne.

Cette Méditerranée ne se présente pas tout à fait comme les autres, systématiquement orientées vers le nord, en haut, dominant le sud. Ici on part de l'est et on remonte vers l'ouest situé en haut du couloir méditerranéen, à la jonction avec l'Atlantique. Les volumes terrestres ont perdu leur visage familier, on ne "reconnaît" plus (l'hexagone par exemple), si bien qu'on est doublement forcé de regarder, différemment peut-être, une France qui ne ressemblerait plus tout-à-fait à son "identité nationale"...

À l'Ouest
Constructrice de "globes terrestres désaxés", Sabine Réthoré a décidé d'orienter depuis 1998 toutes ses cartes vers l'ouest : "quand tu perds un enfant sur la plage, tu as toutes les chances de le retrouver à l'ouest : il suit la direction du soleil. Nous, nous avons fait comme les Grecs, en orientant systématiquement nos représentations vers le nord. Les musulmans ont élaboré des cartes tournées vers le sud, les chrétiens vers l'est, où ils avaient situé l'ancien Éden. Moi, j'ai pris l'ouest." 


   


Il s'agit surtout pour l'artiste d'exhiber une convention puissante et inaperçue, selon laquelle le nord serait forcément en haut et le pays qui se représente, naturellement au centre. 

Car avant d'être la compagne des congés payés, la carte a d'abord été un instrument de guerre et de conquête, un outil de pouvoir (régi par les ministères des Affaires Etrangères) dont la conception façonne et hiérarchise la représentation de soi et des autres.

La carte qui manque
À cet égard, Sabine Réthoré découvre tout récemment que ce bassin "euro-méditerranéen", tant invoqué et célébré, ne dispose d'aucune sorte de représentation cartographique officielle depuis plus de quinze ans. La dernière édition en date de l'Institut Géographique National, n'a jamais été reprise, parce que, comme le concède François Lecordix (ingénieur de production à l'IGN), elle n'était pas "rentable". Les diplomates en poste dans les pays concernés se voient distribuer pour leurs déplacements une carte indicative, en format A4.

Comment se peut-il que cette entité humaine et physique dont on ne cesse de vouloir "penser les deux rives" (selon le principe cher à Michelet de la "fraternité des rivages") n'ait aucune existence cartographique ?
De son propre chef, Sabine Réthoré rassemble et scanne durant cinq mois les cartes de vingt-six nations riveraines, leur applique un plan de projection commune et les soude l'une après l'autre après en avoir supprimé les frontières.

Les noms sont notés en graphie latine, tels qu'on les prononce dans chaque pays. L'impression de la carte grand format est financée en quelques jours par une souscription lancée sur internet. Les soixante-dix souscripteurs reçoivent en contrepartie une version réduite de "Méditerranée sans frontières".

Babel réunifiée ?
Les visiteurs se penchent ou s'accroupissent, vérifient un point de départ ou d'arrivée, avec au milieu de l'eau un suggestif "mare nostrum"...
Faite "pour le peuple méditerranéen", cette carte qui (n')appartient à personne et à tout le monde, est destinée à passer de mains en mains. Elle ne se sera pas vendue mais prêtée aux organismes qui le souhaitent, et par la suite proposée en version copyleft, disponible en téléchargement libre sur internet.

Les cartes à venir seront retranscrites dans les cinq alphabets du bassin méditerranéen (latin, grec, arabe, hébreu et même amazigh pour les Berbères).

Bien consciente que les frontières de cet espace existent, et parfois même douloureusement, Sabine Réthoré rappelle qu'une carte est aussi un support d'organisation mentale : "Je veux placer le spectateur face à une zone internationale qu'il regardera comme une Région. Europe ou non, nous sommes en réalité bien plus proches des Arabes que des Anglais. Je voudrais susciter ce sentiment régional, tel qu'on l'éprouve par exemple en Occitanie." 

Des traducteurs bénévoles se sont déjà engagés dans le travail de transcription qui, pour la majorité des langues, n'a jamais été fait. Et l'enthousiasme, semble-t-il, ne leur a pas manqué...


Pour aller plus loin, visiter le site de Sabine Réthoré


 


Crédits :
Carte : Sabine Réthoré
Photo illustration titre : Sabine Réthoré
Photos illustrations article : Christine Gorce

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Christine Gorce -