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Couples mixtes, l’amour clando

Jeudi 18/06/2009 | Posté par Sonia Tizaoui (Atelier de journalisme de Marseille)

Elles sont françaises et aiment un étranger. Les couples mixtes représentent plus de 13% des unions françaises, soit environ 35 000 couples. Fréquemment suspectés de mariages blancs, dans un climat très répressif de lutte contre l’immigration clandestine, ils doivent se soumettre à de lourdes procédures avant de pouvoir célébrer leur union.

«Je n’aurai jamais imaginé me retrouver là». Laurence fait les cents pas devant la grille du centre de rétention administratif (CRA) du Canet à Marseille. Comme elle, ils sont une dizaine à attendre qu’on les appelle pour qu’ils puissent entrer et voir leurs proches. Rien n’indique à première vue la nature de cet établissement niché au fond du boulevard des peintures dans le 14ème arrondissement, mis à part un discret petit panneau à l’entrée du centre. Mais les va-et-vient des fourgonnettes de police, les caméras de vidéo-surveillances fixées à l’entrée et les visiteurs patientant devant la grille donnent l’impression de se trouver devant une prison.


Le parcours du combattant
«On a rien fait de mal et pourtant je suis là à attendre comme pour voir un criminel ! J’ai rencontré Soidiki il y a trois ans. Il m’a vite annoncé qu’il était en situation irrégulière, mais je ne me rendais pas compte de ce que cela impliquait. Depuis sa rétention, mon idylle s’est transformée en parcours du combattant! Pour pouvoir nous marier, on me demande de fournir un tas de documents et notamment une preuve de vie commune. J’ai beau leur expliquer qu’il n’a pas de papier et que par conséquent tout est à mon nom, ils ne veulent pas comprendre. Mais j’y arriverai, je l’aime et rien ne me fera renoncer», explique cette infirmière de 32 ans.

Soidiki est au CRA depuis deux semaines et attend la décision qui statuera sur son sort. «On est bien traité, enfin, j’ai pas à me plaindre… Mais les décisions varient tellement d’un juge à un autre, d’un dossier à un autre que je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour l’avenir. Je regrette surtout que Laurence doive passer par là, mais je ne sais pas se que je ferais sans son soutien.» Conséquence de la loi qui allonge la durée maximale de rétention à 32 jours, le CRA du Canet a vu passer 2871 personnes dans ses murs en 2008 et en a expulsé 1053. Avec un taux de reconduite à la frontière avoisinant les 37%, rien ne permet à Soidiki et Laurence de se projeter dans un avenir proche.


Système D
Nadia et Kader, eux, ont trouvé une parade, «à mi-chemin entre l’insouciance et le système D». Kader a 24 ans, il est originaire d’Alger. Tee shirt OM et grosses lunettes Ray Ban, il parle avec un fort accent mi-marseillais mi-algérien. Nadia, 22 ans, petite beurette des quartiers nord, ne connaît que Marseille.

Assis sur la terrasse d’un café face au Vieux port, ils profitent du soleil. «J’ai rencontré Kader en 2006. C’était l’ami de mon frère, j’ai eu un véritable coup de foudre. Et ni l’annonce de sa situation irrégulière, ni les mises en garde de mes amis et de ma famille n’ont pu m’arrêter. Le plus dur a été de le séduire!» raconte-t-elle en riant. «Jusqu’à présent, on n’a jamais eu de problème. Mon frère a le même âge que Kader, et à chaque contrôle, il se fait passer pour lui. Au début, ça fait bizarre, mais après on s’y fait. »

Pour le boulot, c’est une autre histoire. Kader travaille au noir dans le bâtiment. Malgré ses précautions, il est déjà tombé sur des patrons qui n’ont pas hésité à profiter de sa situation. «J’ai travaillé deux semaines comme un esclave pour cent euros! J’ai rien pu faire, mon employeur savait que je n’avais pas de papier. Maintenant je suis plus prudent je me fais payer la journée. En général, ça se passe bien. Le clando à la côte dans le bâtiment!»

Ils ont décidé de se marier cette année, d’abord religieusement. Car même si d’après la loi, une personne en situation irrégulière peut se marier, les pratiques administratives sont biens différentes. Les dossiers de mariages mixtes déposés en mairie sans titre de séjour du conjoint étranger donnent généralement lieu à une demande d’enquête auprès du procureur et à un signalement aux autorités. Beaucoup trop risqué pour notre jeune couple !

« Dans notre cas, il est plus facile de se marier à l’étranger, explique Nadia. Résultat, j’irai me marier en Algérie et comme Kader ne pourra pas faire le voyage, c’est son frère resté là-bas qui prendra sa place. Après on n’aura qu’à demander la transcription du mariage auprès de l’état civil français, pour pouvoir obtenir le regroupement familial. Et comme nous répondons aux conditions de ressources fixées par la loi – je travaille, j’ai un appartement et Kader n’a jamais était condamné pour séjour irrégulier-, ça devrait aller vite. »


Suspicions et contrôles
Isabelle n’a pas eu de chance. Cette secrétaire de 45 ans vit depuis un an avec Tariq, de nationalité égyptienne. Après avoir déposé un dossier de mariage à la mairie, l’officier d’état civil a saisi le procureur qui à son tour a prononcé un report pour enquête.

«Je ne pensais pas qu’on puisse me traiter comme ça, Tariq est plus jeune que moi, et pour eux, 5 ans de différence d’âge, ça veut dire mariage blanc! L’officier d’état civil a même eu la gentillesse de me prévenir de ce que je risquais pour un mariage de complaisance! Je suis citoyenne française, je paye mes impôts et j’ai toujours voté – même si ce n’était pas toujours pour les bonnes personnes… Mais vivre avec un clandestin m’a relégué en citoyenne de seconde zone et je ne suis pas d’accord avec ça, s’indigne Isabelle. On est au pays des droits de l’homme, non?»

Pourtant les enquêtes font de plus en plus partie du quotidien de ces couples mixtes. Ayant pour but de vérifier l’authenticité de l’union, elles sont souvent perçues comme très humiliantes. Comment prouver que l’on aime quelqu’un? Faut-il pour cela raconter les détails de sa vie intime? Ouvrir la porte de son domicile à des étrangers pour qu’ils puissent vérifier que l’on dort dans le même lit ?!

Tariq, lui, n’en attendait pas moins et se laisse aller à un peu d’ironie: «C’est nouveau pour elle, elle y croyait vraiment au pays des droits de l’Homme… Fallait juste qu’elle comprenne que c’était les droits des hommes qui ont leurs papiers !»

S.T.

Reportage et photo de Sonia Tizaoui, réalisé dans le cadre de l'Atelier de Journalisme de Marseille. Vous pouvez retrouver les autres articles de l'AJM sur leur blog "C'est quoi l'histoire?"

A l'occasion de la sortie de leur CD/DVD, les Amoureux au ban public organise une projection gratuite, le jeudi  18 juin à partir de 17h30 au Polygone Etoilé, 1 rue Massabo (2e). 04 91 915 823.

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