A Frais-Vallon, la colline commence au pied des blocs
Jeudi 23/04/2009 | Posté par Benoît Gilles
Les cités des quartiers nord ne sont pas faites que de béton. La nature est encore là parfois en vestige d’une campagne rattrapée par la ville. A Frais-Vallon, 7,5 hectares de collines bordent les bâtiments. Un lieu chargé d’histoires et de légendes.
Au pied de la longue barre du bâtiment G, il y a un chêne. Pas le chêne kermesse rabougri des garrigues, non, un vrai chêne qui monte haut ses branches déployées. A vue de nez, il est plus vieux que la cité née dans les années 60. Au pied de ce chêne commence «la colline». Toutes les générations de Frais-Vallonais connaissent ces quelques 7 hectares de prairies, sous-bois et falaises où s’entremêlent les histoires, les souvenirs et les légendes.
Justement, ce lundi, les habitants se retrouvaient dans la colline pour la première journée du «Printemps du sports». L’occasion rêvée de récolter les histoires, légendes et anecdotes qui courent sur la colline de Frais-Vallon.
Sous un auvent, un groupe de «mamans» s’est mis à l’abri de la petite pluie fine qui gâche un peu l’ambiance champêtre. La colline ? Ce simple mot jeté parmi elles et le cercle de paroles s’anime. Joséphine : «La colline, je la connais depuis que j’y suis née. Je suis arrivée à Frais-Vallon, j’avais 3 ans. J’en ai 50 aujourd’hui. Quand on était minot, on était toujours fourré là dedans. Une bouteille d’eau, du pain, du choco et on y passait la journée.»
A ses côtés, Fathia opine : «Je suis arrivée plus tard mais j’ai les mêmes souvenirs : on faisait des balançoires sauvages dans les arbres avec des pneus et de la corde. Un jour, ma petite sœur y est allée pour accompagner nos frères et sœurs plus petits. Un peu après, je les ai vus débarqués affolés : c’était elle qui s’était cassé la jambe.»
Chacune y va de son anecdote : les pères chasseurs qui tiraient les lièvres, les parties de foot sur «le plateau», les courses-poursuites entre filles et garçons. «Un jour, les parents nous ont dit qu’il y avait eu un viol et, du jour au lendemain, ils nous ont interdit d’y aller. Bien sûr, cette histoire de viol, c’est eux qui l’avait inventée, soit disant pour éviter que l’on se dévergonde.»
«Justement, on devait y faire des rencontres amoureuses, non ?» Les mamans secouent la tête : pour chacune, la rencontre du mari s’est faite ailleurs. Seule Joséphine sourit : «Mon mari, je l’ai connu là. Je courais pieds nus et je me suis plantée une épine. Lui, il a vu que je boitais et m’a proposé son aide. –Jamais de la vie, je ne te connais pas, je lui ai répondu. Finalement, je l’ai laissé faire et je l’ai revu le lendemain, puis la semaine d’après et on a fini mariés.»
L’interdiction parentale n’a donc pas suffit. La colline a continué à être le trait d’union entre la cité au béton triomphant et les vestiges de la campagne. «Certains locataires avaient des petits potagers, juste ici, sur cette prairie, se souvient Khadidja. Il y en avait qui faisait pousser des légumes, des fruits. Et il y avait un monsieur, celui qui croyait à Krishna. Alors lui, c’était les fleurs, que des fleurs.»
Les deux dames blanches
Peu à peu, les potagers ont rejoint les dernières fermes du quartier au rayon des souvenirs. Presque aussi légendaires que «la maison de la sorcière» ou «la dame blanche». Ces deux-là ont beau être imaginaires, toutes les générations les connaissent. Des centaines d’enfants de la cité ont ainsi testé leur courage en allant défier «la sorcière» dans cette maison abandonnée flanquée de tours en rocaille. Un peu plus haut, dans la prairie, des minots jouent avec un pistolet en plastique : «Moi, la maison de la sorcière, j’y suis allé. On était plusieurs mais comme on avait peur, on a traversé en courant.»
Aujourd’hui, la maison a été rénovée mais la sorcière s’est déplacée. «Maintenant, elle habite là, affirme un petit en pointant une ferme abandonnée aux confins de la prairie. Regardez dans quel état elle est, cette maison. Sûr qu’elle est hantée.»
Au fil des années, une autre dame blanche a remplacé la première. Bien réelle, cette fois. «On avait fait des cabanes dans la forêt où on venait jouer, raconte une des mamans. Un jour, la cabane a été utilisée par des toxicos et, peu à peu, ils ont occupé le terrain. C’est devenu infréquentable. J’ai toujours interdit à mes enfants d’y aller.»
On trouve encore ici et là des traces de leur passage. Si le Printemps du sport commence toujours dans la colline, c’est aussi pour ça. «Pour se réapproprier les lieux, affirme Wahibi Habita-Messad, le président de Multi-passions, à l’origine de cette semaine sportive. Cela nous donne l’occasion de donner un coup de propre pour faire en sorte que toutes les générations en profitent.»
Car la colline attire moins qu’avant. Télé, ordinateur et play-station ont remplacé les arcs, les flêches et les frondes. Les minots disent ne plus venir jouer là même s’ils parlent encore de renards, d’écureuils ou de sangliers qui vivraient là.
-«Alors, c’est comment un renard ?»
-«C’est rouge et blanc avec une longue queue qui traîne par terre…»
A coup sûr, ce renard sort tout droit de chez Disney. Comme quoi, en noir et blanc ou en couleurs, la légende continue…
A suivre : les reportages sonores de Délire Motion sur le Printemps du sport.
A lire "On faisait rien de mal... On était sur le mur", livre-mémoire de Frais-Vallon.
Photos : Jean-Paul Duarte (Collectif à-vifs)
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