"A la lumière des combats passés, traçons la route de l’avenir"
Mardi 29/05/2012 | Posté par Pascaline
Il y a quelques jours, les enfants de trois légendes du XXe siècle, Malcolm X, Steve Biko et Frantz Fanon, donnaient une conférence à Marseille. Pascaline assistait aux débats.
En ce vendredi 11 mai, veille de week-end, il fallait être motivé pour venir assister une conférence après une longue semaine. Motivés, nous étions nombreux à l’être dans la salle comble du théâtre Mazenod. Preuve par l’audience que le sujet nous préoccupait, et que les invités étaient de taille ! Il s’agissait d’une rencontre-débat avec Nkosinathi Biko (fils de Steve Biko), Mireille Fanon-Mendès-France (fille de Frantz Fanon), et Malaak Shabazz (fille de Malcolm X).
Si les noms de ces grands hommes vous parlent peut-être, nous allons profiter de l’occasion pour vous en dire d’avantage sur leurs combats. Afin de retransmettre le message de nos trois interlocuteurs-trices ; de préciser les cadres des luttes qu’ont été celles de leurs pères ; et enfin de faire connaissance avec des icônes quelque peu différentes de celles trop souvent véhiculées par les médias.
Combats de Noirs
Ces héros-là ne sont pas les produits d’un scénario hollywoodien où ce sont toujours les gentils qui gagnent à la fin, comme l’a rappelé Malaak Shabazz à un spectateur qui voulait connaître ses impressions sur le film Malcolm X de Spike Lee. Le destin tragique de son père, assassiné le 21 février 1964, lui a prouvé que c’était différent dans la "vrai vie "et elle a voulu nous le signifier.
Ces héros sont aussi Noirs1. Et ils en ont fait leur combat. Un combat parmi d’autres qu’ils ont mené de front durant leurs vies trop courtes.
La conférence a débuté par un retour sur la vie de Franz Fanon. Engagé dans les Forces Françaises Libres avec pour idéal d’aider ses concitoyens à libérer la France, il fera l’amère expérience du racisme blanc dans l’armée, et reviendra sur ses idéaux. Il sera envoyé en Algérie, aux côtés des tirailleurs sénégalais puis en Alsace, où les paysans n’en avaient rien à faire.
Ce détour historique est venu nous renseigner sur l’homme qu’était Fanon et surtout d’où il parlait, quelles étaient les expériences qui lui ont permis de s’interroger sur l’aliénation, le racisme, la colonisation et sur la fabrication de ces processus.
Mireille Fanon-Mendès-France est venue nous rappeler la pensée de Fanon et son actualité toujours certaine : "ce que nos pères ont fait n’a pas pu advenir […], nous devons continuer le combat et peut- être trouver de nouvelles formes de combats."
Elle a notamment cité en exemple les 2000 prisonniers palestiniens, le statut de Mayotte qui, selon elle, devrait être restitué à la grande Comore depuis 1975, ou encore la Lybie et le Soudan, où les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes sont bafoués par le droit d’ingérence.
Elle nous a amenés à nous questionner, à décoloniser nos savoirs2 , à faire de nous des hommes-femmes qui interrogent, comme le disait Fanon dans son livre Peau noire, masques blancs ; afin de regarder en face "l’inhumanité intrinsèque d’un système de domination dont le legs est actuel.3"
Combats universels
Si cette première intervention est venue questionner un ordre mondial dominé par une certaine élite, la seconde, menée par Malaak Shabazz, a clairement identifié cette élite. Ella a ainsi dénoncé l’impérialisme nord-américain, personnifié dans l’image de l’oncle Sam, un grand homme blanc avec un chapeau haut de forme aux couleurs du drapeau étoilé.
Elle a aussi justifié le rejet de la non-violence adopté par Malcolm X qui lui fut reproché : "on nous appelle à être non-violent dans une société submergée par la violence à notre égard, aujourd’hui encore." Une façon de déconstruire l’image du leader violent et raciste qui colle toujours à la peau de son père.
Le combat de Malcolm X, a-t-elle rappelé, était un combat pour tous les exploités du monde. Elle a éclairé aussi la position de son père envers le mouvement pour les droits civiques (porté par Martin Luther King notamment) : pour lui, la lutte pour les droits civiques n’était pas suffisante, car limitée au plan national en excluant la scène internationale.
Malaak Shabazz a précisé que "Malcolm X était un leader mondial de la bataille anti-impérialiste et pas seulement un leader noir-américain." Et à la question sur la légitimité de Barack Obama, présenté par un spectateur comme un président instrumentalisé, elle à répondu qu’il était le président des Etats-Unis et qu’il serait réélu en novembre, avec son soutien.
En dernier lieu, Nkosinathi Biko est venu compléter le débat en apportant un nouveau regard sur la question. Car son pays, l’Afrique du Sud, revient de loin… La colonisation du pays, en 1652 par les Néerlandais, s’est accompagnée progressivement d’une ségrégation à la fois raciale mais aussi géographique avec un découpage des territoires entres Noirs et blancs.
Cette ségrégation à été poussée jusqu’à l’interdiction des rapports entre personnes de "couleurs" différentes (loi sur les mariages mixtes, 1949), qu’ont aussi connu les Etats-Unis. La loi "Bantu Education Act" en 1953, différenciait l’éducation des Noirs et des blancs, avec un niveau inférieur pour les premiers. Et aussi de nombreuses autres lois.
Steve Biko est né peu de temps avant (1946) la naissance de l’apartheid, fondé sur le principe du colonialisme, et de toutes ces lois racistes. Il est mort bien avant son abolition, en 1977, dans une voiture de la police sud-africaine, après avoir été torturé.
Combats permanents
Mais son combat, nous a raconté son fils, a perduré bien après : le Mouvement de la Conscience Noire, qu’il a créé, est devenu un mouvement ancré dans la société sud-africaine. Il a constitué, avec l’African National Congress, dirigé par Nelson Mandela, et le Congrès panafricain fondé par Robert Sobukwe, un instrument de lutte contre l’apartheid.
Nkosinathi Biko nous a expliqué que son père, Fanon et Malcolm X avaient une vision commune de la lutte contre la suprématie blanche et l’oppression.
Si les combats ont permis de faire avancer les choses, l’Afrique du Sud, souvent considérée comme une nation arc-en-ciel doit encore faire face à une réalité : au regard de l’Indicateur de Développement Humain, reflétant la qualité de vie des populations (selon les taux d’alphabétisation, de scolarisation, de l’espérance de vie, et du PIB par habitant), le pays est à la 18e place mondiale pour les blancs, alors qu’il est à la 121e place pour les Noirs. "Aucun pays qui ne considère pas cette situation n’a un avenir brillant", a précisé Nkosinathi Biko.
Ces témoignages sont venus nous éclairer sur les combattants de la liberté qu’étaient Franz Fanon, Malcolm X et Steve Biko. Ils nous ont permis de mesurer les avancées qui avaient été faites depuis leurs époques et tous les combats restant à mener encore aujourd’hui, contre toutes les formes de discrimination, d’oppression, d’aliénation. Enfin, ils nous ont invités à une prise de conscience internationale pour répondre à ce désordre global. Aussi, gardons l’œil ouvert et demeurons des hommes-femmes qui (s’)interrogent !
1 : Le choix sera fait ici, d’écrire Noir avec une majuscule et blanc en italique, une façon de montrer la différence comme un construit social au-delà de la différence biologique. (Référence : Grada Kilomba, Plantation memories, Unrast Verlag, Münster, Allemagne, 2008)
2 : Selon l’idée théorisée par Grada Kilomba, dans le livre Plantation memories.
3 : Omar Benderra, directeur de la Fondation Franz Fanon.
Crédit photo : Gabriel Tamalet
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Réactions des internautes
Mardi 29 Mai 2012, 13:06
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A croire qu'en France, aujourd'hui, les noirs sont persécutés, envoyés dans des camps de concentration, torturés, voire exécutés en raison de leur couleur de peau.
J'ai même lu que si les prisons sont plutôt remplies de détenus afro-maghrébins, c'est la preuve du racisme français...
Par ailleurs, on passe du combat des noirs, aux enfants palestiniens.
Concernant le Soudan, c'est précisément la non-ingérence qui a laiser se produire des massacres de masse - il est question de centaines de milliers de mort notamment exécutés par les milices arabo-islamiques recrutées par Khartoum; un détail de l'Histoire sûrement ?
Quid de la RDC où des viols et massacres se produisent au quotidien ?
Quant à la Libye, n'est-ce pas SOS Racisme qui appelait à une intervention militaire contre le régime de Kadhafi ?
http://www.sos-racisme.org/content/libye-appel-de-sos-racisme-le-figaro
Les noirs y ont été particulièrement ciblés - et le sont toujours - accusés qu'ils ont été/qu'ils sont d'avoir été à la solde de Kadhafi.
Même les écolos, Cohn-Bendit en tête, réclamaient une opération militaire, puis soutenait non seulement cette opération, mais en prime reconnaissait le CNTlibyen comme entité politique légitime pour mener l'opposition à Kadhafi et appelait l'UE à soutenir le CNT.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/16/oui-il-faut-intervenir-en-libye-et-vite_1493895_3232.html
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2011-0517&language=FR
http://www.cohn-bendit.eu/fr/ct/168
Et Eva Joly non seulement soutenait l'intervention militaire en Libye, mais en prime, suggérait une opération terrestre.
http://www.rue89.com/2011/06/08/pensez-vous-que-lintervention-armee-contre-la-libye-de-kadhafi-est-justifiee-208463
SOS Racisme et les écolos seraient-ils d'horribles néocolonialistes ?
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