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Andalousie, terre de luttes

Lundi 14/05/2012 | Posté par Christine Gorce

L'Espagne. Son taux de chômage exorbitant, sa situation économique désespérée, sa jeunesse sans avenir. Et ses luttes. En Andalousie, Christine a rencontré ceux et celles qui se battent pour des jours meilleurs.

De Jerez on connaissait les vins, les taureaux féroces comme des montagnes et le flamenco qu'on ne chahute pas. A Séville, la feria succède toujours à la Semaine sainte, les belles ont revêtu leurs robes à "lunares" (pois blancs) et les chevaux du rejoneo (la corrida montée) piaffent devant l'arène. Presque une carte postale ?

On trouve de toutes les époques en Andalousie... En se réveillant de l'après-franquisme, l'Espagne s'est jetée avec son campo, ses vierges et ses tabernacles dans la croissance, la course à la construction et à la modernisation.

Une crise financière plus tard, elle se réveille échancrée de structures hotelières vides et de lotissements inachevés, avec une gueule de bois qui ne doit rien à la manzanille. En Andalousie, le taux de chômage dépasse les 33 % et frappe quasiment un jeune sur deux.

Pourtant, Jerez fait encore le plein de touristes en ce week end de printemps. Sur la route on croise des bataillons de motards en combinaison Ixon, Alpinestar, accourus au Grand Prix. Le circuit, "el circuito" comme on soupire ici, a coûté très cher à la ville au temps des prodigalités de Pedro Pacheco, l'ancien maire andalou-socialiste (du parti "andaluciste" de centre-gauche).

Aujourd'hui administrée par la droite, la municipalité est grévée d'une dette de 660 millions d'euros, dont un quart dû aux banques. Des retards de salaire, il y en a eu pas mal durant ces trois dernières années : "on dirait qu'il vont le chercher sous les pierres", ironise une victime. Mais c'est la première fois qu'ils sont suspendus de manière aussi durable, depuis janvier 2012 au bas mot.

Plus de 400 employé-es se sont ainsi retrouvées privé-es de revenus. 84 d'entre elles ont décidé d'occuper la rue piétonne adjacente à la mairie, 24 heures sur 24 heures, sous une simple tente.


Elles s'appellent Amparo, Consuelo, Remedios ("soutien", "consolation", "remède" en français) mais ne voient venir, plaisantent-elles, ni soutien ni remède... Après deux mois de grève, elles ont repris le travail, toujours sans avoir perçu aucune rémunération. Une double peine en quelque sorte, puisque elles doivent à la fois assurer leurs frais courants (parfois liés au travail, notamment l'essence), et assumer leur tour de garde après le travail.

Certaines ont abandonné la lutte au profit du chômage, qui leur garantit au moins une indemnité (de 600 euros environ). Toni, elle, est restée, mais elle risque de perdre sa maison. Avec un mari au chômage, le couple n'a plus aucun revenu depuis janvier 2012 alors qu'il doit 600 euros par mois de crédit. D'autres familles sont touchées de plein fouet, comme chez Amparo où trois femmes travaillent dans le même service : elle, sa fille et sa belle-fille.

La colère perce parfois sous la gouaille quand l'une des femmes montre la mairie du doigt : "on a bloqué les bus, on a coupé les routes, on s'est enchaînées aux grilles, qu'est-ce qu'il nous reste maintenant, mettre le feu ?"

La majeure partie d'entre elles travaille dans le soin aux personnes dépendantes, un secteur sensible dans une Espagne en voie de vieillissement. Isabel a eu l'une de ses grands-mères qui est morte pendant la grève, "Eh oui, ce n'est pas comme de s'occuper d'un chien, ça donne des responsabilités", souligne-t-elle.

Jusqu’ici le gouvernement central, l'autonomie andalouse et la mairie se sont repassé le bébé. "Nous sommes la balle de ping-pong de la politique", pointe Remedios. Les policiers, les chauffeurs de bus, qui se sont eux aussi mobilisés, ont fini par être payés. Les campeuses de Jerez lorgnent sur le 1er mai, où un ordre de paiement aurait, semble-t-il, été annoncé. Il serait temps : après trois mois dans le froid et les intempéries, elles se disent épuisées.

En attendant, comme Pénélope, elles tissent et tricotent des ours, des fanions, des écussons aux couleurs de Jerez qu'elles exposeront à l'occasion du 1 mai, comme un gage de patience.

Ce même jour, à quelques 150 kilomètres de là, des autocars convergent de Cordoue, de Malaga ou de Seville vers la localité de Palma del Rio, plus précisément la ferme de Somonte, située à la sortie du village.

Ce sont des paysans, des ouvriers sans terre ou sans emploi, des membres du syndicat espagnol des travailleurs de la terre, le SOC-SAT1, des sympathisants de Longo Maï2 et un représentant du NPA... sans compter le maire de la localité voisine de Marinaleda
3, sorte de mini-Utopia égalitariste unique en Europe, dédiée depuis 30 ans à la démocratie directe et à l'autogestion. 


Ils sont venus soutenir une vingtaine de journaliers et journalières du cru qui occupent la ferme depuis le 4 mars, contre vents et marées. Trois jours plus tôt, le 26 avril à l'aube, la Garde civile a débarqué en compagnie d'un escadron "antidisturbios" (les CRS locaux) pour déloger les occupants. En pure perte, puisque après avoir été évacués manu militari, ceux-ci ont repris la place à la faveur de la nuit.

Tous membres du SOC, ils n'ont pas l'intention de lâcher cette terre de 400 hectares que le gouvernement autonome andalou s'apprêtait à vendre aux enchères. Céder une terre publique à un spéculateur privé alors que le chômage frappe de plein fouet la province ? Il n'en est pas question pour Lola Alvarez, occupante de Somonte et porte-parole du SOC.


Selon elle, la moitié des terres andalouses est détenue par deux ou trois grands propriétaires terriens qui touchent les subventions de la PAC (Politique Agricole Commune) sans jamais fournir d'embauche.

Sur ce sol en sommeil, les nouveaux habitants de Somonte ont déjà fait pousser un potager, dont il espèrent un jour pouvoir tirer les fruits.

"Esta tierra es del pueblo", (cette terre est au peuple), lit-on sur les murs de la ferme plantés du drapeau andalou vert-blanc frappé d'une étoile rouge, ou encore : "Son tus m@nos y tu sudor, para ti la tierra, trabajador." Ce sont tes mains et ta sueur, pour toi la terre, travailleur.

Terre de tradition(s) certes, mais pas de résignation. 


       




1
Sindicato de Obreros del Campo - Sindicato Andaluz de Trabajadores. Le SOC, trois ans après la mort de Franco, a lancé en 1978 les premières occupations de terres et s'est officiellement positionné en faveur d'une réforme agraire. 


2 : Longo maï est un r
éseau de coopératives agricoles alternatives et autogérées établies dans les Alpes de Haute-Provence. 

3 : Lire ce reportage sur l'expérience de Marinaleda



Pour approfondir : 

- L'émission de
"Là-bas si j'y suis", consacrée à Somonte, "Tierra y Libertad" 

Le reportage plus complet sur Somonte, paru sur Regards

- La page Facebook de Somonte

- Le 1er mai de Somonte en
photos




Crédit photos : Christine Gorce



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