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Chocolat, le clown noir

Lundi 02/04/2012 | Posté par Marie-Catherine Beretti (EJCM)

Rafael Padilla, dit Chocolat, fut le premier artiste noir à se produire en France. Un spectacle de théâtre, signé Gérad Noiriel, témoigne de son parcours. Marie-Catherine nous plonge dans cette histoire méconnue.

"Chocolat, clown nègre" est une pièce de théâtre, signée Gérard Noiriel, qui s’est jouée au Théâtre du Gymnase, fin février. En tournée dans toute la France jusqu’à fin avril, ce spectacle relate l’histoire de Chocolat, le premier artiste noir de la scène française. En marge des représentations, l’auteur du texte a tenu une conférence, afin de mieux faire découvrir ce clown, qui connut un succès considérable à la fin du XIXe et au début du XXe.



Un début de vie impitoyable

Chocolat naît Rafael Padilla, en 1868 à la Havane, à Cuba. Il est vendu à 8 ou 10 ans à un marchand portugais qui le ramène en Europe, où Il travaille comme domestique et garçon de ferme. A 15 ans, il erre dans les rues de Bilbao et s’engage finalement dans les mines de fer.

Le dimanche, il se rend au bar comme tous les mineurs et déjà, il impressionne ses confrères par ses talents de danseur. C’est à ce moment qu’un grand clown anglais, Tony Grice, le repère et l’emploie comme homme à tout faire.

Les Européens n’ont encore pas souvent vu de noirs, et la seule présence de Rafael provoque le rire. On le traite de "mal blanchi". Padilla a tellement de succès qu’il décide de prendre son envol, de quitter le service de Tony Grice et de tenter sa chance dans le monde du spectacle.

Il y trouve sa place et c’est, de façon ironique, ce rire qu’il provoque à cause de sa couleur de peau qui lui permet de s’émanciper. Il arrive à Paris en 1886. Sous la IIIe république en France, les "nègres", terme générique utilisé pour désigner les noirs, ont le choix entre deux surnoms : "Chocolat" ou "Bamboula".

Rafael pourrait se sentir humilié, bafoué et méprisé mais il va se servir de l’effet qu’il fait aux spectateurs. Les gens le raillent à cause de sa couleur de peau ou de sa gestuelle qu’ils jugent simiesque, mais lui en rajoute. Tout ce qui lui importe, c’est d’être sur scène et d’en vivre. Et il y parvient. En 1888, il triomphe dans "Les noces de Chocolat", le plus gros succès de l’établissement qui l’accueille.


Duo de clowns

C’est à Paris qu’un clown anglais, George Footit, de son vrai nom, Tudor Hall, repère Rafael à qui il propose une collaboration. Leur duo, Chocolat et Footit rencontre un immense succès.  

A partir de 1895, Chocolat et Footit déclinent leurs sketches, ponctués de scènes de cascades, de gags, mais aussi et surtout de scènes d’humiliation. Chocolat joue l’Auguste, c'est-à-dire le souffre-douleur du blanc. Les saynètes se terminent invariablement par le même leitmotiv de Footit : "Monsieur Chocolat, je vais être obligé de vous frapper".

Dans leur duo, Rafael le noir joue un personnage infantile, espiègle et farceur que Footit le blanc, a pour mission aux yeux du public, de corriger. Le succès est au rendez-vous jusqu’en 1903, puis décline jusqu’en 1910, où le duo se sépare. Gérard Noiriel y trouve plusieurs explications.

Le métier d’artiste de spectacle est une activité précaire, le public se passionne aussi soudainement qu’il se lasse. L’arrivée en France du show biz américain est un autre élément. Les Français découvrent une nouvelle "catégorie" de noirs : des professionnels de la danse. Chocolat apparaît immédiatement daté à côté de cette nouvelle génération. Et il y a enfin, les conséquences de l’affaire Dreyfus.


Les Droits de l’Homme contre Chocolat
En 1894, Alfred Dreyfus, un capitaine alsacien de confession juive est accusé puis condamné pour espionnage. Pour beaucoup d’intellectuels d’alors, dont Zola, et son fameux J’accuse”, Dreyfus n’est condamné que parce qu’il est juif.

S’ensuit, pendant plusieurs années, un grand débat sur les valeurs républicaines. La France veut se définir comme la patrie des Droits de l’Homme.

Pour beaucoup, y compris pour des intellectuels de l’époque, les spectacles de Footit et Chocolat sont l’illustration de la mission civilisatrice de la France dans ses colonies. Et justement, montrer un noir frappé par un blanc, cela commence tout de même à déranger.

Le Nouveau Cirque de Paris ne renouvelle pas le contrat de Footit et Chocolat. Padilla tente alors, vainement, une reconversion dans le théâtre mais s’il est estimé en tant qu’artiste du spectacle par ses pairs, il lui est impossible d’être reconnu en tant que comédien.

Il restera peu de traces de sa carrière. Contrairement à Footit, peu d’articles sont consacrés à Chocolat. Les journalistes ne s’intéressent pas à sa vie. Gérard Noiriel insiste sur la difficulté qu’il a eu à rassembler des informations sur la jeunesse de Rafaël Padilla, sur le manque de curiosité des observateurs de l’époque. La date de sa naissance d’ailleurs reste incertaine.

Tudor Hall/George Footit a été enterré au cimetière du Père Lachaise, Rafael Padilla/Chocolat a été jeté dans la fosse commune avec les indigents, à Bordeaux. Une ville d’où, à une époque, partaient des bateaux négriers. 



Crédit photo : Biscarotte



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