Zoos humains : l’exposition qui met (très) mal à l’aise
Lundi 27/02/2012 | Posté par Marie-Catherine Beretti (EJCM)
L'histoire de la France coloniale, persuadée de sa supériorité, s'est nourrie d'images dégradantes des peuples qu'elle avait soumis. A Paris, une exposition revient sur les exhibitions d'indigènes qui accompagnèrent cette époque. C'est les vacances, si vous passez par la capitale, n'hésitez pas à la visiter. Sinon, Marie-Catherine vous en présente un aperçu.
Depuis le 29 novembre et jusqu’au 3 juin 2012 se tient au Quai Branly, à Paris, "Exhibitions, l’invention du sauvage", une exposition qui retrace un aspect presque oublié de l’histoire : les grandes expositions et les foires où étaient exposés, tels des animaux sauvages capturés dans leur milieu naturel, des hommes, des femmes et des enfants des colonies d’Afrique, d’Océanie, et d’Asie.
Entre 1810 et la seconde guerre mondiale ce sont plus d’1,4 milliards de visiteurs qui, en Europe et en Amérique, se déplacent pour voir ces gens montrés comme des bêtes curieuses. Entre l’émerveillement face à d’autres cultures et le racisme le plus primaire, que reste-t-il de ces mises en scène et des thèses racistes dans l’inconscient collectif d’aujourd’hui ?
Âmes sensibles s’abstenir… "Voyage parfois violent dans les tréfonds du voyeurisme et de l’exotisme en Europe aux XIXe et XXe siècles". Voici le titre un peu long qui aurait parfaitement convenu à cette exposition, très fournie et bien structurée, dont l’initiative revient à Lilian Thuram, "l’intello" de l’équipe de France 98 et depuis 2008 président de la Fondation Lillian Thuram - Education contre le racisme.
Tout d’abord, l’exposition suit un ordre chronologique pour mieux rendre compte de l’évolution du rapport des européens à ces cultures lointaines. Tout commence avec la découverte des Amériques par Christophe Colomb, découverte qui sonne le coup d’envoi du commerce triangulaire, de l’esclavage, de la colonisation de nouveaux territoires, et de la rencontre avec l’autre. Les classes bourgeoises et la noblesse sont les premières à raffoler de ces objets, de ces animaux inconnus et de la présence d’individus exotiques parfois brillants, comme le tahitien Omaï, reçu à la cour britannique au XVIIIe siècle.
Cet exotisme se démocratise et devient un vrai phénomène de masse. Et de foire. Pour le public, ces individus sont bizarres, et c’est très logiquement qu’on les retrouve dans des spectacles de femmes à barbe où ils se "produisent" aux côtés de déficients mentaux ou de personnes atteintes de malformations physiques. En clair, ces personnes issues des colonies font partie du monde de l’anormalité et alimentent le goût de l’époque pour l’insolite, l’étrange, le déviant.
Les Folies Bergères, la foire du Trône, le Jardin d’acclimatation : vous connaissez ces lieux qui existent encore aujourd’hui ? Figurez-vous qu’ils ont été le théâtre de spectacles destinés à divertir le public parisien. Auguste Rodin, le célèbre sculpteur, y fait la rencontre d’une danseuse cambodgienne qu’il suit jusqu’à Marseille et qui sera l’inspiratrice de nombreux bustes.
On assiste à l’apogée de cet engouement avec les expositions coloniales, la première se déroulant à Marseille en 1906, où la foule assiste à de véritables reconstitutions de vrais-faux villages à la place actuelle du Stade Vélodrome. Une deuxième du genre aura lieu en 1922. Abrutis par le rythme, par le passage incessant et les apostrophes des visiteurs, à demi nus, par souci "d’authenticité" envers le public, des africains, des indiens, des "peaux rouges", des aborigènes, des bushmen, des pygmées y laissent leur santé et parfois leur vie sans revoir leur pays. Des impresarios tels que "le grand Farini", Taylor Barnum, et bien d’autres, eux, font fortune.
Est-ce que le nom de Sarah Saartjie Baartman vous dit quelque chose ? La Venus Hottentote, morte épuisée à 25 ans en 1815 est une des nombreuses victimes du voyeurisme du grand public, qui, privé de voyages, n’a que ces occasions pour rencontrer les autres peuples de l’empire colonial dont il entend tellement parler. Originaire de l’actuelle Afrique du Sud, elle est remarquée pour… son postérieur particulièrement volumineux. Elle est montrée à Londres, où son "propriétaire" est poursuivi en justice, puis par un ancien montreur d’ours à Paris, où ça n’a pas l’air de déranger qui que ce soit. Récemment, Vénus noire, un film d'Abdellatif Kechiche a fait le récit de son histoire.
Un siècle plus tard, c’est Ota Benga, un pygmée de la région du Congo actuel, qui se suicide à 32 ans après avoir été exposé au zoo du Bronx à New York à côté des orangs outans. Ces représentations sont alimentées par le discours des scientifiques d’alors, qui présentent les noirs comme le chaînon manquant entre le singe et l’homme, entendez l’homme blanc. Les thèses développées renforcent l’idée d’extraordinaire, on parle de découverte scientifique.
Ça tombe bien pour ce business très florissant jusqu’en 1930, où l’intérêt du public commence à décliner. C’est une autre nouveauté qui attire son attention maintenant : le cinéma. La dernière exposition coloniale a lieu en 1958 à Bruxelles. 1958…
Saviez-vous que George Cuvier, anatomiste et zoologiste français renommé (1769-1832) a découpé puis gardé les parties intimes et le cerveau de la Venus Hottentote dans du formol au Muséum national d’histoire naturelle à Paris pour démontrer l’infériorité naturelle des noirs ? Qu’il existe encore aujourd’hui, dans le 5e arrondissement de Paris, une rue portant le nom de Georges Cuvier ?
Qu’un moule du corps de Sarah Baartman et son squelette étaient exposés au musée de l’homme à Paris jusqu’en 1974 et que les restes de sa dépouille ont été rendus à l’Afrique du Sud… en 2002 ? Saviez-vous que les propres arrières grands-parents de Christian Karembeu, coéquipier de Lilian Thuram lors du Mondial 98, ont été exposés en 1931 au Jardin d’acclimatation, puis en Allemagne en qualité de "véritables cannibales kanaks" ?
Et que penser de ces générations d’enfants à qui on a bourré le crâne avec des thèses racistes pendant toutes ces années ? Il n’y aurait aucune conséquence aujourd’hui sur les mentalités de leurs enfants et petits-enfants ?
L’objectif de cette exposition est de faire prendre conscience de ces réflexes racistes qui persistent encore aujourd’hui. Nous lisons trop souvent à travers un prisme, au lieu de nous intéresser vraiment à la personne que nous avons en face. Que ce soit en adoptant une attitude d’ouverture forcée complètement artificielle ou en la rejetant à priori.
Vous avez jusqu’à début juin pour visiter l'exposition.
N.B : Sachez également que du 23 février au 11 mars, à Paris et ailleurs en France, se tient la septième édition de la Semaine Anti-Coloniale, et que le 17 mars aura lieu une Journée de mobilisation anti-coloniale et anti-raciste.
Crédit photos : Marie-Catherine Beretti et Musée du Quai Branly
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Marie-Catherine Beretti (EJCM) -
Réactions des internautes
Mercredi 29 Février 2012, 12:11
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La dernière de Thuram...
Il lance un projet pour sauver la France et l'Europe de la crise, et pourquoi pas le monde !Ca s'appelle Roosevelt 2012, il s'est associé à Stéphane Hessel (l'ancien résistant) et Curtis Roosevelt, petit fils de l'ancien président américain Franklin Roosevelt lui-même !
http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20120224trib000684740/les-15-mesures-radicales-de-roosevelt-2012-pour-sortir-de-la-crise.html
J'ai pas tout compris mais ça a l'air puissant...
THURAM, PRESIDENT !
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Jeudi 1 Mars 2012, 12:23
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Re: La dernière de Thuram...
Thuram qui faisait facturer ses conférences 20 000 euros s'intéresserait aux pauvres. Intéressant.Répondre -
Jeudi 1 Mars 2012, 17:17
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« Et que penser de ces générations d’enfants à qui on a bourré le crâne avec des thèses racistes pendant toutes ces années ? Il n’y aurait aucune conséquence aujourd’hui sur les mentalités de leurs enfants et petits-enfants ? »
N’exagérons rien, outre que le racisme n’est pas héréditaire, la France est certainement un des pays les moins intolérants au monde. Certains historiens s’accordent à dire que les Gaulois étaient curieux de l’étranger. S’il y a encore des esprits simplets et des bas du front, nos parents et nos grand-parents ont su prendre leurs distances avec ces thèses indignes. Les guerres et les idéologies qui les accompagnaient ont marqué les esprits, les mentalités ont évolué, les gens sont plus instruits, mieux informés, voyagent.
Yannick Noah et Rama Yade figurent parmi les personnalités préférées des Français, auxquelles on peut dorénavant ajouter Omar Sy. Il est curieux de constater que les thématiques racialistes sont relayées par des associations de type le CRAN, les Indigènes de la République ou même Thuram. C’est le monde à l’envers.
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