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L’idée explosive du préfet

Mercredi 18/04/2012 | Posté par Jan Cyril Salemi

QUARTIERS DIVERS - C’est le cran supérieur après le kärcher. A Marseille, le préfet, Alain Gardère, souhaite prendre à la dynamite un bâtiment de la cité du Clos, connu pour abriter un trafic de haschisch. Jan Cyril est allé dans cet ensemble de la Rose pour entendre l’avis des habitants.

La plupart des bâtiments sont roses, comme le nom du quartier. La vie ne l’est pas toujours. Mais elle n’est pas forcément si sombre que ce qu’on pourrait le croire. A quelques pas du métro la Rose, la cité du Clos est un ensemble plutôt tranquille. Des pavés d’immeubles, de cinq étages, entourés de quelques blocs un peu plus hauts.

Pas de tours gigantesques, pas de bâtiments dégradés, la cité est plutôt bien entretenue. Pas de carcasses de voitures calcinées sur le parking, pas de poubelles fondues, pas de vitres brisées aux portes d’entrée. C’est pourtant un morceau de cette résidence que le préfet, Alain Gardère, projette de dynamiter. Pour, croit-il, éradiquer le trafic de haschisch qui y sévit.

Un peu plus haut, se trouve l’école élémentaire La Rose La Garde. Une partie des enfants du Clos y est scolarisée. C’est jour de carnaval. Une affiche sur le portail précise que, pour cause de plan Vigipirate, les parents ne pourront pas assister aux festivités.

Le directeur est en poste depuis trois ans dans l’école. Soumis à une obligation de réserve, en tant que fonctionnaire, il ne peut s’exprimer publiquement sans l’accord de sa hiérarchie. Il précise simplement que l’application du plan Vigipirate n’est pas liée au contexte récent. Et depuis trois ans, les parents sont tenus à l’écart du carnaval pour ce motif.



"Un bon petit quartier"
Il est midi. La cité, gérée par 13 Habitat, un office HLM public, est très calme. Quelques enfants s’amusent dans le parc, il y a peu de passage. En entendant le mot "journaliste", les habitants sont plutôt réticents. Puis ils se mettent à parler volontiers, en demandant toutefois que leurs témoignages restent anonymes.

Devant le Leader Price, un père de famille attend son fils qui sort du collège Mallarmé, tout proche. Il vit au Clos depuis 26 ans. "J'ai jamais eu de problème dans la cité, explique-t-il. Mais depuis quelques années, ça s’est dégradé, et c’est pour mes enfants que j’ai peur. On voit des minots de 9 ou 10 ans, qui sont dans la rue, qui dealent. On est obligé d’être vigilant. On fait attention que le petit ne sorte pas le soir, c’est tout."

Près du collège, quatre médiateurs discutent tranquillement. Deux sont "médiateurs transport", les deux autres "médiateurs collège". "On est là pour assurer la tranquillité, mais on n’a de problème avec personne. On fait plus de la présence que de la surveillance." 

En remontant les allées de la cité, impossible de ne pas voir les deux jeunes, assis sur des chaises de jardin, près du bâtiment 41. Celui que le préfet, avec le soutien de la ville, envisage de prendre à la dynamite. "La Mouche", 20 ans, semble profiter du soleil. Un garçon de 13 ans est à ses côtés. Tous les deux font les "choufs", les guetteurs. C’est un minot comme eux qui était tombé sous une rafale de Kalachnikov, en novembre 2010.

"La Mouche" a surtout envie de dire que "le Clos, c’est un bon petit quartier. Il y a eu des morts à la Belle-de-Mai, ou aux quartiers Sud, alors pourquoi toujours nous ? Le trafic, il est partout, à Marseille. Il veut raser cette partie ? Ça va dealer là. Il va raser là ? 
Ça va dealer là-bas. Il va quand même pas raser tout le quartier ! 
Au lieu de raser, qu’ils fassent quelque chose pour nous. On a rien. Les minots de 13 ans, ils aiment pas l’école, ils viennent là, ils savent bien qu’ils peuvent se faire tuer. Pourquoi ils prennent le risque ? Pour 100 euros ? Non, c’est parce qu’ils ont rien d’autre." 

Ceux qui font le trafic et ceux qui le côtoient sont au moins d’accord sur un point : faire sauter un bâtiment ne ferait que déplacer le problème. "C’est n’importe quoi, dit une dame. Et les gens, ils vont aller où ? C’est juste un petit clan, la police le sait, elle les connaît, tout le monde les voit. Pourquoi ils ne les arrêtent pas ?" 

Une maman déplore aussi l’abandon des autorités. "Il faudrait renforcer la surveillance au lieu de démolir. J’ai dû arrêter de travailler, pour rester plus présente auprès de mon fils. Il est adolescent, et on n’est pas à l’abri. On est mal vu de partout maintenant. C'est dommage, car le quartier est très agréable. Tous ces jeunes qui font le trafic, ils ne sont pas méchants, ils n’embêtent personne dans la cité. Mais on a peur que nos enfants se fassent entraîner." 


Qui fait la police ?
Face à ce désarroi des habitants, les pouvoirs publics semblent n’avoir rien d’autre à proposer que des coups médiatiques et des effets d’annonce. Au cercle de boules, à l’entrée de la cité, c’est l’heure de l’apéro. Mais les verres de pastis n’empêchent pas la lucidité. La légalisation du cannabis est l’une des solutions évoquées pour enrayer la violence. Retrouver une meilleure relation avec la police en est une également.

"J’ai grandi au Clos, raconte un homme d’une quarantaine d’année, quand j’étais minot, c’est les CRS qui m’ont appris à faire de la moto. Il faut de la police de proximité, sinon on s’en sortira pas. Aujourd’hui, la réalité, c’est que les patrons des réseaux assurent la sécurité dans le quartier. Vous pouvez laisser votre voiture, il lui arrivera rien. Les minots qui seraient tentés de l’ouvrir ou de la brûler, ils sont tenus par le business."

La criminalité et la lutte pour le territoire qui en découle, prend donc le pas sur la petite délinquance. Dans ce système structuré, qui sont ceux qui tirent les coups de kalach ? Les regards se font plus graves, les voix se baissent. Le sujet est visiblement délicat. Et la réponse se trouve peut-être bien loin du bâtiment 41 de la cité du Clos. 




Crédit photos : Jan Cyril Salemi


  

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Jan Cyril Salemi -


Réactions des internautes

Romuald
Vendredi 20 Avril 2012, 13:58
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« Qui sont ceux qui tirent à la kalash  ? ».

La réponse se trouve peut-être dans l'identité des individus abattus.

Bien que n'habitant plus en Provence (mais en Seine-Saint-Denis), je garde un oeil intéressé sur ce qu'il se passe là-bas.
Je lis donc les articles du site La Provence.

D'après ce que j'ai pu récolter, 2 types d'individus se font, de façon générale, descendre à Marseille :

- les anciens parrains corso-italiens
- les nouveaux caïds maghrébins, qui éliminent les 1ers et qui s'éliminent entre eux

Un cas particulier, l'assassinat d'un Comorien aux Iris par un Maghrébin, sur fond de trafic de stup.


Ce qui est intéressant dans cet article, c'est que, d'après les habitants, la cité est baignée dans une environnement certes bétonné, mais pas anxiogène; une cité plutôt bien entretenue, sans incivilités comme c'est au contraire le cas ailleurs.
Pourtant, ce paysage « idyllique » n'empêche absolument pas les trafics et l'insécurité qui va de pair.

Certains dénoncent le manque d'effectifs policiers.
Cela me fait à la réflexion du maire PS de Grenoble, peu après les émeutes ayant suivi la mort d'un braqueur à la fin juillet 2010.
Il avançait que le quartier Villeneuve frappé par ces violences dites urbaines, bénéficiait d'un riche tissu social et public; et il déplorait la chute des effectifs policiers.
Sauf que, quelques jours plus tôt, des jeunes avaient été interviewés par un site d'info locales.

Ils déploraient l'absence d'activités, dénonçaient la trop grande présence policière.


Ils vont être servis, un certain candidat F. H. et son probable futur ministre de l'Intérieur F. R. (maire de D., en Côte-D'Or) promettent de créer des « zones de sécurité prioritaire » où seront concentrés tous les moyens sécuritaires et judiciaires de l'Etat.
Le même F.R. n'ayant du reste pas écarté le recours à l'armée pour reconquérir les zones de non-droit...



Quant à la destruction du bâtiment, effectivement, elle délocalisera les trafics ailleurs.
Tout comme la dépénalisation du cannabis, qui feront se concentrer les trafics sur la cocaïne; drogue que diffusent déjà les réseaux depuis quelques années.
Notons au passage que le trafic de cocaïne, bien inférieur en terme de quantités qu'à celui du cannabis, rapporte beaucoup plus que ce dernier...
Faudra-t-il aussi dépénaliser la cocaïne ??!!

Répondre -

Jan Cyril Salemi
Vendredi 27 Avril 2012, 12:42
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Re:
L'identité des victimes ne renseigne pas forcément sur l'identité des tueurs. On nous présente souvent ces règlements de compte comme une guerre entre petits caïds qui s'éliminent entre eux. Rien n'est moins sûr, et ceux qui tirent à la kalach ne sont pas forcément les patrons des réseaux de quartiers ou leurs petits soldats, mais seraient plutôt quelques crans au-dessus dans l'organisation. C'est en tout cas ce que plusieurs personnes m'ont laissé entendre au Clos. 

Quant à la légalisation du cannabis, elle ne réglerait peut-être pas tout, mais elle contribuerait sûrement à réduire les violences. Pas sûr du tout que cela pousse le trafic vers la coke ou des produits plus durs.

On peut plutôt imaginer d'un côté une vente légale et contrôlée de cannabis, en pharmacie ou ailleurs, et d'un autre côté, une vente illégale qui se maintiendrait, avec une marchandise moins chère et de moins bonne qualité que dans le circuit officiel. 
Ça n'éradiquerait donc pas totalement le trafic, mais ça le rendrait beaucoup plus marginal, et avec surtout beaucoup moins d'enjeux et d'intérêts commerciaux à la clef.

Un peu comme les cigarettes, par exemple. Pouvoir les acheter dans les tabacs n'empêche pas qu'il y ait de la contrebande, mais il n'y a pas de guerre sanglante pour le contrôle du trafic de cigarettes. Si du jour au lendemain, les cigarettes étaient interdites à la vente, ça entraînerait une telle demande qu'un phénomène identique au trafic de haschisch se produirait. 

Quelques-uns au PS ont déjà perçu cet enjeu, dont François Rebsamen, que tu mentionnes, qui propose de transformer la consommation de cannabis en contravention plutôt qu'en délit, ou Daniel Vaillant, l'ancien ministre de l'Intérieur, qui est clairement pour la légalisation.

Ce n'est visiblement pas encore le cas de François Hollande, il l'a confirmé hier à son passage sur "Des paroles et des actes". S'il arrive au pouvoir et qu'il n'adopte pas ce genre de solutions, il sera confronté aux mêmes violences qui sévissent aujourd'hui.  
 

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