Keny Arkana ou la rage du peuple dans le bide
Mardi 11/06/2013 | Posté par Pascaline et Alda
Avec Keny Arkana, “un autre monde est possible”. La rappeuse de la “Capitale de la rupture” était en concert à Marseille, fin mai. Ressentis et émotions.
Mardi 28 mai à l'Espace Julien à Marseille, Keny Arkana, la fille du pays donnait un concert de soutien au journal CQFD, nous faisant découvrir son dernier album « Tout tourne autour du soleil » et aussi redécouvrir d'anciens titres qui valaient le détour. C'est l'occasion pour nous de revenir sur cette grande artiste.
Petit bout de femme au fort accent marseillais, son énergie et son opiniâtreté nous donnent l'impression qu'elle pourrait déplacer des montagnes.
De son enfance difficile et de son expérience en foyer, elle tire ses premiers textes et sa persévérance pour dénoncer les failles d'un système de protection de l'enfance qui aurait voulu lui couper les ailes (« Eh connard ! », « J'me barre »).
Elle fait ses premiers pas sur la scène marseillaise à la fin des années 90, âge d'or du rap marseillais représenté par des artistes comme IAM, Fonky Family, Troisième Oeil... à qui elle rend hommage encore aujourd'hui, lors de ses concerts « à domicile ».
De là vient son attachement sans faille à la citée phocéenne qui apparaît comme un ancrage à sa recherche artistique (« Marseille », « Capitale de la rupture »).
Elle assume et revendique sa vie d'”artiste sincère pour gens sincères”, qui n'est pas un produit de l'industrie et du matraquage télévisuel et qui a fui le système dans lequel on voulait la contraindre. Keny Arkana n'est pas de ces superstars qui, une fois le succès au rendez-vous, troquent leur message pour embrasser Babylone et ses illusions.
Le nombre, pas le chiffre
Celle qui “cherche le nombre et pas le chiffre” reste fidèle à elle-même, passant son message au plus grand nombre, pour qu'ensemble, nous arrivions à une mondialisation de la lutte. Mais de quelle lutte parlons-nous ici ?
La rappeuse veut porter la parole de “tous les oubliés du monde, des pays oubliés jusqu'aux oubliés de nos pays pour unir leurs combats vers une mondialisation de la rébellion.”
Elle transcende volontairement les clivages établis entre les peuples, entre les gens, persuadée que c'est ensemble que nous vaincrons la mondialisation effrénée, le capitalisme, le néocolonialisme, l'injustice, le rejet et l'exclusion institutionnalisés.
Si certaines de ses chansons dénoncent une situation en particulier, l'ensemble de ses textes prônent toujours une indignation combative et constructive.
Dans « La mère des enfants perdus », elle brosse le portrait d'une rue de tous les vices, de toutes les débrouilles, une rue digne du film « Comme un aimant », “sans scrupules et sans cœur qui se nourrit de ces âmes perdues, si jeunes et en pleurs, en manque d'amour…”
Mais sans en faire l'apologie, elle démystifie la rue, et son attirance chez les jeunes pour qui elle peut représenter un refuge.
Dans « Victoria », elle nous parle de la lutte des piqueteros (chômeurs grévistes) en Argentine, face à la crise économique et au chômage, atteignant des taux records en 1995. A cette époque, les piqueteros “bloquent les routes pour bloquer l'économie du pays” pour se faire entendre dans un pays à la solde du FMI et endetté jusqu'au cou.
Dans « Pachamama », elle rend un hommage à la Terre Mère, au nom de tous ses enfants, ceux qui la vénèrent comme ceux qui l'exploitent pour le profit économique.
L'insoumission et l'espoir
Malgré la gravité des sujets abordés, la prose de Keny Arkana comporte toujours de l'espoir, une force que chaque être humain porte en lui. Elle nous incite à nous affranchir des barrières établies par ceux qui “ont peur de la liberté, qui ont peur de rêver, qui ont peur de penser, qui ont peur du changement,[...] qui ont peur de la différence, qui ont peur de leur prochain, qui ont peur de la chance, du bonheur et du lendemain. “
Elle exhorte “les gens simples à se lever contre les ordres” comme si elle reprenait le flambeau d'un Stéphane Hessel qui n'est plus : “jeunesse et peuples du tiers monde nous marcherons à tes côtés, ta lutte est la notre tout comme notre lutte et la tienne, justice et liberté pour tous les habitants de la terre.”
Profondément humaine et pleine de cœur, la rappeuse s'adresse à tous, “insoumis, sage, marginal, humaniste ou révolté.” Son expérience nourrit son rap et son rap lui donne envie de faire des expériences (collectif de Noailles « La Rage du Peuple », participation aux forums sociaux mondiaux et réalisation de films).
Mais ce qui me touche le plus dans la plume de Keny Arkana, jamais trop pompeuse et toujours juste, c'est sa capacité à me rassurer quand je ne vais pas bien, à me transmettre sa rage et me convaincre de me battre pour mes idéaux, pour un mode de vie qui ne rentre pas dans une boite, en dépit des jugements qu'il suscite,
en dépit des obstacles qui se dressent sur ma route,
en dépit des gens qui s'en détournent,
en dépit des portes qui se ferment,
en dépit des angoisses qu'il crée chez moi,
en dépit des clichés desquels je veux me soustraire,
en dépit de la perte de repères que cela engendre.
Alors Keny, malgré tout ça, je “n'oublie pas en mon âme cette flamme allumée, je n'oublie pas l'enfant en moi et les rêves qui l'animaient et je m'en vais là où mon cœur me porte”.
A voir, le film de Keny Arkana, sur la mondialisation “Un autre monde est possible”
Et celui sur sa ville : “Marseille, capitale de la Rupture”
Crédit photo : Pascaline
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Par Tony Off