Pour en finir avec le dogme de l'austérité
Lundi 05/03/2012 | Posté par Christine Gorce
Lundi dernier, "La dette, l'arnaque du siècle", était diffusé à Marseille. Un débat suivait la projection. Bien décortiquer les mécanismes de la dette et de ses conséquences, tel était l'objectif de la soirée. Christine y assistait.
Lundi 27 février, le "Point de bascule" accueillait la projection de "La dette, l’arnaque du siècle". Ce film, produit par le mensuel Regards, et co-réalisé par le collectif de photographes marseillais à-vif(s), était suivi d’un débat avec Clémentine Autain (co-directrice de Regards), Christian Celdron (Attac) et Norig Neveu, représentante du Collectif pour un Audit Citoyen sur la dette (CAC 13). Une démarche d'éducation populaire et d'initiative citoyenne, destinée à reconquérir un droit de regard démocratique sur les politiques économiques en cours.
En attendant la projection, et tandis que la file s'allonge devant la salle pleine du "Point de Bascule", Clémentine Autain répond à nos questions. Pourquoi cette initiative ? Pour briser l'hégémonie culturelle du discours austéritaire, qui consiste, d’abord à surdramatiser l'endettement des états par une rhétorique alarmiste, ensuite, à s’en servir pour imposer des politiques d'austérité catastrophiquement récessives.
En toile de fond de ce constat, la crise du voisin grec (dont le déficit pourrait avoir été gonflé) ; la négociation du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), qui renforce le poids de la doxa franco-allemande en matière de gestion des crises financières ; et enfin la campagne des présidentielles françaises, où pourrait bien se jouer la question de la reconquête politique des leviers d'action économique.
Entre campagne citoyenne et campagne électorale
Membre du comité de campagne du Front de Gauche pour Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain souligne que le FdG est la seule force politique significative à briser le consensus de l'austérité sur la question financière. Le NPA, selon elle, a voulu rester seul et le restera, le PS et l'UMP ne s'opposent que sur le degré d'austérité requise (nuancée d'une pincée de croissance pour le candidat Hollande), et la gauche parlementaire ne fera pas obstacle au MES, comme l'a confirmé entre-temps le vote du 28 février au Sénat, entérinant son adoption par le Parlement français.
C'est ainsi que les peuples d'Europe risquent de se voir imposer un Traité (rebaptisé "Sarkozy-Merkel") sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance de l'Union économique et monétaire (ou TSCG), qui prévoit nommément le respect de la "règle d'or" dans ses applications. Autrement dit, zéro déficit pour les pays membres (soit 0,5 % du PIB), ce qui constituerait un tour de vis drastique par rapport aux 3% déjà rudes du Traité de Maastricht.
On serait ainsi assuré d'une asphyxie économique qui ne pourrait qu'alourdir le poids de la dette et la croissance exponentielle des intérêts, en vidant toujours davantage les caisses : pour Clémentine Autain, "ce n'est pas la dette qui produit l'austérité, c'est l'austérité qui crée la dette".
"L'arnaque du siècle"
En une démonstration serrée de 25 minutes, le film réalisé par Antibruit et le Collectif à-vif(s) démonte le processus par lequel on tente de faire payer aux peuples une facture qui n'est pas la leur.
Contrairement à l'idée reçue, ce ne sont pas les dépenses publiques qui ont augmenté (en France comme en Grèce), mais un certain nombre de cadeaux faits aux entreprises les plus riches et aux revenus du capital, avec un niveau de fiscalité directe au plus bas. Seul un tiers de la dette a alimenté les dépenses publiques, le reste relève de créances privées.
De là une dette pour grande partie illégitime, accumulée sans l'assentiment des peuples et même contre leurs intérêts. Surtout si l'on ajoute que ces dettes, aujourd'hui détenues par des banques que l'on avait sauvées en 2008, sont assorties de taux d'intérêts s'élevant parfois jusqu'à 16 %, alors que la Banque Centrale Européenne prête aux banques privées à des taux avoisinant les 1%.
Selon l'économiste Jacques Généreux, ce qu'aurait dû faire le premier ministre grec Georgios Papandréou, au lieu de "se coucher devant les marchés financiers", c'est de déclarer un moratoire immédiat du paiement de la dette (le temps de discuter la part réelle à rembourser), réquisitionner sa banque centrale pour financer le bien public, puis faire voter la monétisation et le rachat partiel de la dette, avant de réarmer la fiscalité de l'État grec en faisant contribuer les plus riches.
Au lieu de cela, la question la plus urgente semble être aujourd'hui : "comment faire payer la crise aux pauvres ?", dans un processus de décision qui se joue désormais à un niveau européen d'où le peuple est exclu.
Qui doit payer, et quoi ? Pour un audit citoyen sur la dette
Cet audit est le vœu commun des intervenants, ainsi que de nombreux collectifs qui se sont insurgés contre la mainmise des marchés sur les politiques publiques : un appel d'intellectuels et d'artistes européens à "sauver la Grèce de ses sauveurs", celui des "Économistes atterrés", qui préconisent le contrôle social sur les institutions bancaires et financières, celui des Indignés, mais aussi celui des Collectifs pour un Audit Citoyen de la dette publique (CAC). Le CAC 13 propose même d'essaimer les CAC dans les Bouches-du-Rhône, afin de soutenir le peuple grec, organiser manifestations et meetings, protester contre les emprunts toxiques des collectivités locales et faire front contre la désinformation en vigueur sur la question.
Selon Christian Celdron (d'Attac), une guerre économique se joue actuellement contre les peuples à l'échelle européenne. En France, depuis le "non" de 2005 au traité constitutionnel européen, la souveraineté populaire se heurte à un déni de démocratie lisible sur tous les fronts.
Face aux mobilisations pour les retraites, face aux syndicats, la droite a clos les débats sans aucun compromis possible. Pourtant, les mouvements citoyens qui émergent ici et là annoncent une possibilité de basculement : à charge pour eux de se rassembler en créant un véritable tissu de résistance inter-associatif.
Clémentine Autain rappelle à cet égard combien les divisions des opposants grecs à la politique d'austérité les ont affaiblis, alors qu'ils représentent à eux tous 45 % du champ politique. "La gauche, ajoute-t-elle, est ressortie laminée du XXe siècle par l'échec de ses deux grandes traditions : l'espérance communiste, puis la social-démocratie. Nous portons ce poids sur les épaules." Mais n’est-ce pas aussi ce moment de "décomposition-recomposition" qui rouvre le champ des possibles ?
À quelque chose malheur est bon...
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le dossier réalisé par le magazine Regards.
En parallèle, Clémentine Autain vient de sortir un livre : "Le retour du peuple", consacré aux nouvelles revendications surgies dans nos sociétés de la dégradation du monde du travail.
Vous pouvez enfin vous procurer le DVD "La dette l'arnaque du siècle", en téléchargeant le bon de commande à adresser aux Editions Regards.
Crédit photos : Regards, à-vif(s) et Christine Gorce
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