Oyez, oyez, gens de Frais Vallon…
Mardi 24/02/2009 | Posté par Sophie Floret, Sébastien Cahn et Anthony Armando (EJCM)
Marseille, Quartier Frais Vallon. Sur la place du marché, on découvre une scène rescapée du Moyen Age. Casquette gavroche, salopette rouge, debout sur un escabeau Alice interpelle les passants. Elle va déclamer à haute voix les pensées des habitants du quartier. La criée publique est lancée !
Comme tous les vendredis à 11h30, au moment où le marché bat son plein, Alice, jeune comédienne, débarque, escabeau, clochette et feuillet à la main. Situé à l’entrée de la cité aux tours blanches, le marché de Frais Vallon est un lieu atypique. Toutes les semaines, il s’installe à la sortie du métro pour tenter de donner au lieu un petit air villageois. Mais marché ne signifie pas toujours lien social, souvent les habitants du quartier se croisent sans se parler. L’actrice gravit les deux marches de son perchoir et clame : «Il vaut mieux aller plus loin avec quelqu’un, que nulle part avec tout le monde». C’est par ces mots qu’un résident de Frais Vallon définit la fidélité. Une semaine plus tôt il avait griffonné cette phrase sur un billet glissé ensuite dans une urne placée à l’entrée du centre social.
Ce dispositif théâtral original a été initié en décembre par la Compagnie du Théâtre de la Mer. «L’idée sommeillait depuis longtemps en moi. Le déclic s’est produit lorsque j’ai lu le roman "Pars vite, et Reviens tard" de Fred Vargas, où la criée occupe une place centrale», explique Frédérique Fuzibet, co-directrice du Théâtre de la Mer. «Avec la compagnie, nous montions des créations théâtrales à partir d’interviews des gens des quartiers. Cette expérience m’a donné envie de donner une dimension citoyenne à l’acte de création. Nous avons donc développé cette intervention de rue pour renforcer la cohésion sociale dans les cités».
Pensées de passants
Kheira, une passante qui découvre la représentation, s’émerveille : «C’est la première fois que j’assiste à la criée. Je trouve que c’est une bonne initiative. Dans le lotissement où j’habite, j’ai très peu de contacts avec mes propres voisins. Grâce à ce spectacle, je peux savoir ce que pensent les gens. En ce qui me concerne, je viens d’écrire un message dans lequel j’exprime un souhait qui m’est cher».
L’exercice de la criée a permis à Salima qui tient son stand sur le marché, d’oublier un épisode sentimental douloureux. «Au bout de 19 ans de mariage, mon époux m’a abandonnée. Je n’ai pas adressé ce message pour lui. Je l’ai fait pour moi pour me libérer. Ca me permet de tourner la page ; n’en parlons plus».
Malheureusement, tout le monde ne confie pas ses mots à la criée. Pour Tarik, exposant sur le marché, «Ca crée de l’animation, mais jamais je n’écrirais de message». Sadia, responsable de l’association Multipassions, partenaire de l’événement, déplore l’absence d’investissement de la population locale : «On va toujours vers les autres, mais ils ont peur. Ils ne parviennent pas encore à nous livrer leur cœur. Ils ont du mal à donner sans recevoir».
Quelques messages plus tard, d’autres personnes s’approchent, curieuses, intriguées. Mais qui est donc cette personne qui interpelle les passants, que dit-elle ? Ils s’installent et écoutent. Alice délaisse alors son feuillet s’empare de sa boîte emplie de poèmes. Conviés à tirer les papiers au sort, les spectateurs entrent en scène, souriant et attentifs.
Puis vient l’instant où il faut écrire. Quelques membres de l’assistance se prêtent au jeu. Certains messages sont lus immédiatement par la comédienne. D’autres attendront sagement la semaine prochaine pour être déclamés.
Catharsis pour les uns, simple médium pour les autres, la criée publique permet aussi «d’ouvrir la discussion autour de sujets délicats dans les maisons de quartiers», déclare Frédérique Fuzibet. «Il faut faire participer davantage les gens», ajoute-t-elle. «Ils sont parfois trop pudiques. D’ailleurs, nous avons décidé de mettre en place des écrivains publics chargés de recueillir leurs idées sur le papier».
Nous avons aussi déposé nos messages. Vendredi prochain, nous retournerons au marché de Frais-Vallon pour entendre nos mots dans la bouche d’Alice.
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Sophie Floret, Sébastien Cahn et Anthony Armando (EJCM) -
Réactions des internautes
Lundi 2 Mars 2009, 12:07
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Répondre -
Mardi 3 Mars 2009, 18:25
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Re:
J'ai à peine lu la première phrase que j'ai pensé tout de suite à F Vargas. J'avais déjà trouvé cette idée géniale dans le bouquin, mais la mettre en pratique en vrai, bravo, belle initiative en effet.Répondre -
Mercredi 4 Mars 2009, 22:59
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Re:
L'idée n'est pas réellement novatrice et déjà exploitée dans plein de ville en France. Mais bon, c'est sympa que pour une fois ça ne soit pas dans un quartier de bobos. En plus je connais bien Alice alors bravo à elle.Répondre -