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La Busserine : du bidonville à la cité, (Épisode 1)

Jeudi 26/02/2009 | Posté par Kathy Bourg (EJCM)

Rencontre avec Mohamed Tir, petit-fils de l’emblématique Monsieur Tir, commerçant algérien arrivé à la Busserine quand elle n’était encore qu’un bidonville. Aujourd’hui une rue porte son nom et ses descendants portent la mémoire de ce quartier.

«Au début la Busserine, c’était la campagne, c’était pas Marseille», raconte Mohamed Tir, animateur spécialisé du centre social L’Agora, au 32 rue de la Busserine. Mais voilà Mohamed n’a que 46 ans, alors comment peut-il s’en rappeler, me demanderez vous. Et bien c’est simple, il fait partie de l’une des familles les plus emblématiques du Grand Saint-Barthélémy : la famille Tir.

Tout a commencé à la fin des années 50 quand Monsieur Tir, comme on l’appelle encore ici, a emménagé dans le quartier. «Mon grand-père était locataire et travaillait près du château, au niveau de l’actuelle maison de quartier», évoque non sans une certaine fierté, son petit fils, Mohamed. «Mais il y avait rien ici, seulement des baraques : des sortes de favelas sans toit ni électricité». Et oui, à cette époque, la Busserine n’avait rien à voir avec la cité qu’elle deviendra quelques années plus tard, elle était formée de terrains et de petits ruisseaux, propriété de la bourgeoisie marseillaise. Puis les cabanons sont peu à peu devenus des habitations pour la main-d’œuvre étrangère venue à Marseille pour reconstruire la ville au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Ces logements de fortune se sont vite avérés insuffisants face à l’arrivée de plus en plus importante de travailleurs immigrés auxquels s’ajoutaient les soldats démobilisés qui avaient fait venir leurs familles, en attendant leur pension. Au début des années 60 naît ce qui deviendra le plus grand bidonville de la cité phocéenne.

Naissance d’une ZUP
C’est un arrêté ministériel du 6 janvier 1960 qui va à jamais transformer les quartiers nord de la ville. Ces espaces ruraux vont devenir une véritable ZUP de 9000 logements répartis dans de longues tours et barres. Les premières tours à sortir de terre sont celles de Picon, puis arrive la Busserine et ses nombreuses tours K, J, P, L, M ou encore H. A chaque lettre, sa communauté. La K sera celle des Comoriens, la P celle des gitans… Aujourd’hui encore, une vingtaine de cultures se côtoient dans le Grand Saint-Barthélemy.
En attendant la fin des travaux, les habitants sont relogés dans des «cités tiroirs», comme on les appelle. «Quand ils ont construit, ils nous ont mis dans des cités de transit qui devaient durer dix ans, quarante ans après elles sont toujours là. Avec ma famille, on est allé à Bassens. C’était la folie là-bas, on avait une seule grande pièce qui servait de pièce à tout faire et deux toutes petites chambres : une pour mes parents et une pour les filles. Pas de salle de bain, on avait inventé un système D pour les plus grands qui se lavaient dans les toilettes à la Turc». Des cités tiroirs desquelles nombres d’habitants de la Busserine ne bougeront plus, faute de place. «Deux ans plus tard, les pouvoirs publics nous ont proposé un appartement à Saint Barthélemy III mais tout le monde n’a pas été rappelé car ils ont dû aussi y placer les gens du centre ville à cause de la pénurie de logements. Moi j’avais 6 ans et ça a été assez brutal. Du jour au lendemain je me retrouvais dans un milieu totalement différent, j’habitais avec les Européens».

Quant à Monsieur Tir, il a lui aussi subi les transformations du quartier en déplaçant par trois fois son magasin. Pour finalement s’installer définitivement dans le carré de la Busserine, en face de la tour K où ses fils tiennent aujourd’hui encore le commerce familial. C’est grâce à cet acharnement à vouloir garder un lien de proximité avec ses voisins que Monsieur Tir, Mahboubi de son prénom, est entré dans les mémoires des habitants du quartier. «Quand Carrefour est arrivé aux débuts des années 70, ils lui ont proposé un local dans la galerie commerciale, il était même prioritaire mais ça ne l’intéressait pas, il a préféré s’installer au carré», raconte Mohamed. Douze ans après la mort de son grand-père, personne ne l’a oublié. il surveille encore son magasin à travers le portrait réalisé par le grapheur, Abou Mouridi, sur la tour qui fait face au carré de la Busserine. Un livre a été publié à sa mémoire en 2003, "Monsieur Tir, un marchand de bien" écrit par Karima Berriche, directrice du Centre Social Agora où travaille Mohamed. Et il y a même une rue qui porte son nom. Depuis le 1er juillet 2004, le boulevard Jourdan prolongé a été officiellement renommé rue Mahboubi Tir.

En voie vers l’individu roi

Aujourd’hui Mohamed habite à nouveau Saint-Barthelémy, «même si je n’habite plus la Busserine, j’y travaille et pour moi je n’ai jamais quitté la cité». Mais les règles ne sont plus les mêmes.
«L’évolution s’est vraiment faite dans le mauvais sens, aujourd’hui il n’y a plus de mixité des populations mais un rassemblement des mêmes gens avec les mêmes problèmes. Les valeurs ouvrières ont disparues. C’est une société beaucoup plus individualiste. Avant c’était différent, moi je me rappelle de ma mère qui faisait du pain arabe et chaque voisin avait droit à sa demie baguette. Aujourd’hui, c’est tout juste si on connaît ses voisins. Sans parler des écoles dégradées et des conneries qui vont avec. Avant, les grands étaient là pour surveiller les plus petits, aujourd’hui ils les entraînent dans leurs magouilles», regrette Mohamed.
Pourtant il ne se voit pas ailleurs. «J’aime ce que je fais ici, je tiens à le faire dans le milieu populaire car j’y suis plus à l’aise. Je continuerai à transmettre mon savoir et à m’occuper du soutien scolaire dans mon quartier». Comme son grand-père avant lui, Mohamed sait qu’il a quelque chose à apporter à ce quartier et il continuera à le faire.

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Kathy Bourg (EJCM) -