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Retour à bon port pour Miloud

Vendredi 24/12/2010 | Posté par Samir Akacha

BEST OF 2010 : JUIN. Jeudi 3 juin, Gare Saint-Charles. Il est 17h30. Dans quelques minutes, Miloud Zenasni va descendre du train. Il était sur le Sfendoni, navire grec faisant partie de la flottille de la liberté, prise d'assaut par l'armée israélienne. Les journalistes et une foule aux couleurs de la Palestine sont au rendez vous.

17H55. Le train entre enfin en gare. Au téléphone, Miloud précise à un camarade du Comité de Bienfaisance et de Secours aux Palestiniens (CBSP), organisation caritative à laquelle il appartient, qu'il sortira en dernier, pour ne pas gêner les autres passagers. Déjà, les caméras et les appareils photos se braquent sur la porte, qui déverse son flot de voyageurs. En voyant le comité d'accueil, une femme s'approche et s'écrie « Vive la Palestine ». Des cris de joies et des drapeaux s'élèvent pour la saluer. Le wagon livre son dernier passager, qui n'est pas Miloud. Les regards se tournent sur le wagon suivant, et chacun se met à courir. Khadidja, sa fille, coiffe tous les journalistes au poteau pour rejoindre son père, qui la prend dans ses bras. Puis c'est le tour des nièces, des camarades et du père. Les retrouvailles sont écourtées par les questions des journalistes et les salutations des autres militants.

Le comité d'accueil et les médias accompagnent Miloud jusqu'au parvis de la gare Saint-Charles, où il est porté par les militants. S'adressant à la foule, qui scande « Nous sommes tous des palestiniens », il promet de parler de son histoire lors d'une prochaine conférence de presse, en expliquant qu'il désire pour le moment se retrouver en famille. Il en profite pour « rendre hommage à ceux qui ont péri dans ce massacre, hommage à ces personnes qui sont mortes pour sauver des vies à Gaza, et une pensée envers leur famille », puis salue le consul de France en Turquie, qui les a pris en charge. Il termine en remerciant ceux qui se sont occupés de sa famille en son absence, n'ayant pu contacter ses proches pour les rassurer sur son sort pendant les trois jours de sa détention en Israël. Sur la demande insistante des journalistes, Miloud accepte de donner une conférence de presse dans l'heure. Tout le monde se disperse, pour se rendre au siège du CBSP.

Dans le petit local, des rafraichissements sont servis aux journalistes et aux membres. Eau minérale et Sélecto. Miloud prend place sur une chaise, et commence à conter son histoire. Elle commence à Athènes, où il embarque avec 50 personnes à bord du Sfendoni. 8 nationalités sont présentent sur le navire, dont 6 français. 5 journalistes sont aussi présents. Le voyage se déroule sans encombre. C'est l'occasion de tisser des liens, chacun apprend à mieux se connaître. Miloud parle d'un élan de solidarité exceptionnel.

La partie n'est pas gagnée.

Le voyage dure 5 jours. Pour lui, c'est le premier en bateau, c'est donc un peu dur. D'autant plus qu'il n'avait pas prévu de sac de couchage. L'eau est rationnée, pas de douche possible. Les repas se composent essentiellement de légumes et d'olives. Malgré les difficultés du voyage, l'ambiance à bord est chaleureuse. Mais personne n'oublie la mission : briser le blocus de Gaza qui dure depuis plus de trois ans. La partie n'est pas gagnée. « On a eu un briefing, où on a imaginé les pires scénarios, à savoir que l'armée israélienne nous arrête. Nous devions résister pacifiquement, et protéger la cabine du capitaine et les moteurs. On avait la crainte que ça se passe en pleine nuit. C'est pour ça qu'on voulait aborder les eaux de Gaza en journée. On était à 70 milles nautiques d'Israël, quand ils sont venus carrément nous chercher dans les eaux internationales à 4h30. On était surpris, on ne s'y attendait pas ».

Miloud décrit l'assaut : « Des commandos spéciaux sont arrivés en zodiaques. Ils ont lancé un assaut simultané sur tous les bateaux. Ils se sont mis à lancer des grenades. J'ai commencé à réagir et je suis monté pour protéger la cabine. Les soldats étaient déjà là. Il y avait une violence terrible. Des coups, des tirs. Mais il n'y a pas eu de mort à bord de notre navire. J'ai vu les hélicoptères, il y avait une centaine de soldats. On a résisté pacifiquement. les soldats nous ont neutralisé rapidement. C'était d'une violence extrême. Ils étaient bien organisés ».

A bord, Miloud voit des gens impulsifs qui veulent combattre. Il prend un anglais et l'écarte, pour éviter le carnage. Quand l'armée a fini de prendre le contrôle du bateau, toute résistance s'arrête. Sur les autres navires, la situation dégénère : « ils ont commencé à tirer sur tout le monde depuis 2 hélicoptères, dès qu'ils ont compris qu'ils ne maitrisaient plus la situation. Il y a eu 15 morts d'un coup. 7 personnes ont été blessées, dont 2 grièvement. Contrairement à ce qui a été dit, il n'y a eu aucune sommation. Les soldats ont aussi tabassé Paul, un américain de 60 ans ».

« Nous avons essuyé des insultes, des regards. C'était l'humiliation totale. Je me suis dis qu'on allait mourir »


Une fois la résistance maitrisée, tous les bateaux sont séparés. Au port d'Ashdod, le chef d'État Major, Gabi Ashkenazi, est présent. Un comité d'accueil composé de la police, de militaires, ainsi que d'israéliens avec des drapeaux félicitant leurs héros. « Nous avons essuyé des insultes, des regards. C'était l'humiliation totale. Je me suis dis qu'on allait mourir ». S'en suivent interrogatoires, relevés d'empreintes et photos. Les passagers sont ensuite interrogés par le Mossad. Ils sont déshabillés, subissent une fouille au corps. Nouvelle humiliation. Puis on demande à Miloud de signer un document. Il refuse s'il n'a pas d'avocat et de représentant de la diplomatie française. Les menaces fusent. Un mois de prison en cas de refus. Miloud persiste. « Nous sommes embarqués dans un camion de prisonnier, direction la prison de Beer Sheva. Là, tout le monde se retrouve. Nous sommes abattus, sonnés, terrifiés. On n'a su qu'il y avait 16 morts qu'en prison. Ce fut un deuxième traumatisme. On n'est pas certain du nombre de morts, j'ai pu voir dans un camion 3 palettes de 4 cercueils. Il y a des disparus, certains ont été jetés à la mer ».


Les conditions de détentions sont sévères : « Nous ne pouvions pas téléphoner à nos proches pour leur dire qu'on était en vie. Nous étions nourris comme des bêtes, en plus de subir des interrogatoires ». Miloud continue avec calme son récit, parfois interrompu par une question d'un auditeur. Il cherche ses mots, pour relater le plus précisément les évènements. « Au delà du kidnapping, il y a eu le pillage. Toutes les caméras des journalistes, de l'argent, quelqu'un avait emporté avec lui 32 000 euros, des passeports, des ordinateurs ont été volés. J'avais sur moi une somme d'argent assez conséquente pour les orphelins, ainsi qu'un appareil photo. Rien ne nous a été restitué ».

Ils refusent d'obéir. Quand on leur ordonne de s'assoir, ils se lèvent, de se taire, ils parlent.

A Beer Sheva, l'ambiance est solidaire. Les pacifistes commencent à manifester dans la prison. Ils refusent d'obéir. Quand on leur ordonne de s'assoir, ils se lèvent, de se taire, ils parlent. Devant leur détermination, un gradé est dépêché auprès d'eux. Il leur permet de téléphoner à leur deuxième jour de détention. Le représentant du consul français leur rendra visite. Au bout de trois jours, ils sont expulsés d'Israël. Pour leur rapatriement, le gouvernement turc affrète trois avions, et les prend en charge.

Miloud se dit prêt à repartir, pour ce qu'il considère être un devoir. Quand une journaliste lui demande ce qu'il attend de la communauté internationale, il répond : « Une réaction ferme et que cesse l'impunité, qui mène à ce genre de comportement. C'est un danger pour l'humanité. J'attends que justice soit faite. Une nouvelle flottille est en préparation, il faut refaire ça avec des centaines de bateaux ».

Malgré l'émoi international suscité par la violence de Tsahal, il se dit déçu par son arrivée à Roissy, où aucune cellule de crise n'est mise en place. Il s'attendait à voir un psychologue, faire un bilan de santé. Il n'y a même pas de représentant de l'État. Pourtant, le traumatisme engendré par toute cette histoire est encore présent. En prison, les autres militants lui ont raconté comment les soldats ont mis en joue le bébé. Celui du capitaine du Navi Marmara, Ils menaçaient de tuer son enfant s'il n'appelait pas à stopper la résistance à bord.

Photos : Jean-Paul Duarte/Collectif à-vif(s)

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Samir Akacha -