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14N - manifestation à Madrid : entre les chiffres et les causes

Mardi 27/11/2012 | Posté par Veronica Ramirez

En Espagne, comme dans beaucoup de pays, la situation économique est devenue intenable. Veronica, notre bloggeuse invitée espagnole, était à la mobilisation du 14 novembre dernier. Voici son récit.

La guerre de chiffres autour des manifestants est devenue une habitude qui ennuie. Je ne vais pas vous parler du nombre de personnes qui ont suivi la grève générale du 14 Novembre (14N) en Espagne. Il y a tellement de contradiction que ce chiffre n'est plus une référence. 

Dans la manifestation qui eu lieu le 14N au soir à Madrid, les syndicats ont compté un million de personnes. Néanmoins, la Délégation du Gouvernement de Madrid en a estimé 35.000. Je n'ai rien compris, moi non plus. 

De toutes façons, j'ai fait partie de ces 35.000, ou de ce million de personnes, mais je n'ai pas compté les gens. Pour moi, il est bien plus important de raconter les causes pour lesquelles autant de monde s'est rendu dans les rues de la ville de Madrid.
 


Continuer la lutte
Concha est infirmière, elle travaille dans le secteur public. Elle a deux filles diplômées de l’université, l'une habite à Paris (les circonstances ne l’encouragent pas à rentrer, au moins pour le moment) et l'autre, au chômage, a aussi l'intention de partir à l'étranger. 

Concha est allée manifester dans les rues de la capitale espagnole avec ses deux filles et son mari. Elle raconte qu'elle a fait la grève, et qu'elle est là pour "lutter afin qu’ils ne détruisent pas les services publics et l'État providence." De plus, elle lance aux jeunes un appel à continuer la lutte dans les prochaines manifestations.

Elle pense qu'il y a beaucoup de monde qui est venu à la manifestation : "beaucoup plus que ceux qui ont suivi la grève, car beaucoup de monde ne peut pas la faire pour des raisons économiques". 


Elle est optimiste, et pense qu’il est nécessaire de se bouger pour changer les choses :
"Tout ce qui a été obtenu dans le monde l’a été grâce aux mouvements sociaux. Si les gens ne bougent pas, ils peuvent faire n’importe quoi. Je ne sais pas si cela servira à quelque chose, mais ce qui est clair c’est que ni les gouvernements ni les États ne peuvent ignorer la voix du peuple. Parce qu’il n’y a pas que le vote qui soit valide, la manifestation du peuple l’est aussi."

La dépression collective s’est injectée dans la société espagnole, et dans certains cas d’une manière dangereuse. Je ne sais pas si les médias français vous parlent de la tragédie qui se déroule en ce moment en Espagne, par rapport à ceux qui sont expulsés de leur maison à cause des impayés sur leur hypothèque. Ce problème a déjà entraîné des suicides


"On est en train de faire une marche arrière"
Les jeunes espagnols expriment aussi une sorte de pessimisme (au moins ceux que j'ai rencontrés).
Dans un même groupe, on rencontre des situations différentes : Marcos a 28 ans, il est informaticien et travaille dans une grande entreprise espagnole des technologies de l'information, une des plus importantes du pays. 

Lui et un autre collègue ont été les seuls de leur service (constitué d'une vingtaine de personnes) à seconder la grève. Pourquoi personne d’autre ne l’a fait ? "Pour les sous, parce qu'ils considèrent qu'ils perdent. Ils sont d'accord avec la protestation, mais ils ne sont ni pour les politiciens ni pour les syndicats, ils ne pensent qu’à eux", explique-il. 

Ses motivations pour se manifester sont générales :
"J'en ai marre de tout, je ne suis pas là pour les syndicats, mais parce que c'est la seule manière de m’exprimer."Il s'inquiète spécialement des coupes dans les secteurs de la santé et de l'éducation, parce que "au final ils emmerdent toujours les mêmes, et on est en train de faire une marche arrière."


Nous nous trouvons à côté de la statue de Neptune, nous sommes à quelques mètres du Congrès des Députés espagnols, et une marée humaine bloque la ville en chantant des slogans contre les mesures du président Rajoy. Marcos pense que tout cela ne servira à rien, mais malgré tout il est là-bas, en faisant partie de ces 35.000… Ou un million…

Antonio travaille pour un site web, une petite entreprise (avec sept employés) où personne ne s’est mis en grève. Il ne l’a pas fait non plus, tout simplement parce que "ce qui se passe, ce n'est pas la faute de mon patron." 

Il est venu à la manifestation directement du bureau
"parce qu’il faut faire quelque chose, c’est une manière de dire que la situation nous échappe. Je pense que tout le monde devrait être là, surtout dans le moment que l’on vit. Pour moi la chose la plus grave qui se déroule est que les grandes entreprises privées en général ont plus de pouvoir qu’un gouvernement, et que les hommes qui contrôlent réellement le monde, nous ne les connaissons pas. C’est très dangereux et on le voit de plus en plus".

Le ton augmente encore lorsqu’on passe au sujet de l’utilité des protestations : "Dans ce cas, et dans d’autres, nous ne pouvons pas réussir car les politiciens ne sont pas conscients de la situation que nous vivons, ils ont des privilèges et ils sont dans les nuages. Il faut venir, mais ce n’est pas très utile."


Et l'avenir ?
Le cas de Victor est différent ; il n’a pas la possibilité de se mettre en grève car il est au chômage. Il assiste à la manifestation parce qu’il n’est pas d’accord avec le gouvernement actuel, "surtout par rapport aux mesures sur l’emploi, la santé et l’éducation." Ces sujets sont les plus graves pour lui, parce que "il s’agit de services essentiels pour les citoyens ; l’éducation est l’avenir."


Et nous parlons de l’avenir…  Après avoir douté pendant quelques secondes, il assume de le voir difficile. Par contre, il apprécie cette difficulté comme une opportunité : "le mieux c’est de faire face à l’avenir, il faut s’en sortir." 

Avec un projet en tête, il s’est proposé à lui-même le changement complet : "Je suis en train de changer ma vision vers l’emploi, je veux passer de la situation de pièce quelconque dans une grande machine, à créer moi-même ma propre petite machine." 
Une pointe d’optimisme très appropriée alors qu’on s’approche de la fin ; je n’aimerais pas vous laisser triste.

Les manifestations servent-elles à quelque chose ? "D’une certaine façon oui, elles servent à montrer l’irritation du peuple, ce que j’ignore, c’est si les gouvernements et les politiciens en tiendront compte", indique-t-il. 

Enfin, j’aurais pu poursuivre, avec le reste des 35.000 (ou un million) de manifestants, car chaque personne a à la fois son histoire unique et une indignation partagée , mais au final nous sommes habitués (ou nous avons été habitués) à nous traiter comme des chiffres.

Et pourtant, mes amis et amies de Marseille, dans le cas où vous aimez compter, je vous laisse quelques liens* de la presse espagnole, vous pourrez ainsi voir en images comment s’est déroulée la grève dans d’autres villes espagnoles. Appelez-moi si vous arrivez au chiffre exact. Tandis que vous comptez, je vous dis à bientôt.

Les (aussi) indignés de Madrid.

*Une intéressante vidéo de A Coruña (Galice), plusieurs villes d’Espagne et d’Europe sur Público.es, Huffington Post, 20 Minutos.es, un beau collage trouvé sur un blog et une recherche sur You Tube des "14N manifestaciones".




Crédit photos : Veronica Ramirez



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