Marseille Bondy Blog Dakar Bondy Blog Neuilly Bondy Blog Lausanne Bondy Blog Business Bondy Blog Bondy Blog Lyon Bondy Blog Marseille Bondy Blog

« Ben Ali, le peuple veut qu'il parte »

Vendredi 14/01/2011 | Posté par Jan Cyril Salemi

Mercredi 12 janvier, un millier de personnes se sont rassemblées sur la Canebière pour soutenir l'action des émeutiers de Tunisie. Jan Cyril a rencontré H. et K., deux destins, deux histoires. Ils nous livrent leurs témoignages sur la situation que connaît la Tunisie depuis quelques semaines.

Sur les barrières du kiosque des Allées Leon-Gambetta, un grand drapeau est déployé. Fond rouge, étoile et croissant rouges sur un cercle blanc, les couleurs de la Tunisie surplombent la Canebière. En contrebas, environ un millier de personnes sont rassemblées et s’apprêtent à défiler jusqu’au siège du consulat tunisien.

H. est venu seul ce soir. Il a affiché son drapeau aux grilles du kiosque et regarde la foule qui peu à peu rejoint le point de ralliement. “Il faut montrer au monde entier qu’on est là, qu’on ne reste pas les bras croisés”, affirme-t-il. Même si selon lui, la mobilisation est loin d’être suffisante : “Les émeutes ont commencé il y a longtemps là-bas, cette manifestation vient tardivement, mais c’est déjà une étape.”

Difficile pour ceux qui vivent ici de s’organiser, de créer des collectifs, de mener des actions concrètes. Ce rassemblement peut être l’occasion, pour ceux qui veulent apporter leur soutien, de se rencontrer et de commencer à faire place à la solidarité.

K. vient de rejoindre H. sur le kiosque.
Ils ne se connaissaient pas avant ce soir. Tous deux sont décidés à donner un écho aux luttes engagées par les émeutiers. “Tous les Tunisiens doivent se sentir concernés”, confie K. “Il faut continuer à soutenir ceux qui souffrent là-bas. Je suis prêt à revenir tous les soirs, s’il le faut, avec mon drapeau”, insiste H.

H. et K. sont deux hommes, d’une quarantaine d’années. Ils sont chacun artisans, vivent et travaillent à Marseille ou dans les alentours. H. est né en Tunisie, il y a vécu 25 ans, puis il est arrivé en France depuis une quinzaine d’années. Il a encore toute sa famille qui est restée là-bas.

K., lui, est né en France, mais il se rend régulièrement en Tunisie, le pays de ses origines. Pour eux, le seul espoir serait que
“Ben Ali s’en aille. Tant que lui et son clan seront au pouvoir, il n’y aura aucun avenir pour le pays
, assurent-ils ensemble.

C’est cet avenir barré qui a contraint H. à quitter la Tunisie dans les années 90. “Il n’y a aucune liberté en Tunisie. Ben Ali est chaque matin devant nous. Son portrait est partout, dans les magasins, dans les rues, on ne peut pas y échapper. Tout cela doit changer. On est révolté, on en a marre de ces méthodes.”

Le manque de réactions internationales les a choqués, mais selon K., ce silence ne pourra pas durer : “Ils ne pourront pas nier très longtemps, les faits sont là. Il y a les images, tout circule très vite aujourd’hui avec internet.” Car cette “Révolution du Jasmin”, comme on l’appelle déjà, a trouvé ses relais sur les blogs et les réseaux sociaux, malgré toutes les tentatives du pouvoir pour museler l’opinion. “C’est la nouvelle génération qui veut se faire entendre, elle réagit, et elle a trouvé le soutien de toute la population.” Sur place, la situation est très critique dans la plupart des villes. Le couvre-feu a été décrété à Tunis et dans sa banlieue. La famille de H. ne vit pas dans la capitale, mais à environ 150 km. Il les a joints au téléphone, quelques minutes avant de venir au rassemblement : “Ils m’ont dit que l’ambiance était très tendue. Ils s’attendent à ce que le couvre-feu soit décrété chez eux aussi, alors ils restent enfermés à la maison.” Débordé par les émeutes, le président Ben Ali a annoncé la création de 300 000 emplois d’ici 2012. “Du baratin, il essaye du gagner du temps, en leur donnant un biberon, mais ça ne marche plus.”

Confronté à une crise sans précédent depuis 23 ans et son arrivée au pouvoir, le chef de l’état a limogé son ministre de l’intérieur. Il a aussi annoncé la libération de la plupart des prisonniers arrêtés depuis le début du soulèvement. Pas sûr que cela suffise à calmer la situation. “Ce que le peuple veut, c’est qu’il parte. On espère qu’ils vont aller au bout.”

NDLR : H. et K. étaient d’accord pour que leurs prénoms soient publiés. C’est à notre initiative, et avec leur accord, que nous avons préféré ne donner que leurs initiales.

Crédit photo :
Collectif A-Vif(s)

Ceux qui ont lu cet article ont aussi aimé :

Jan Cyril Salemi -


Réactions des internautes

Jean-Paul Duarte
Vendredi 14 Janvier 2011, 10:28
Signaler un abus
Pour suivre l'actualité en images de la situation en Tunisie  :

http://nawaat.org/portail/

Répondre -

Jan Cyril Salemi
Vendredi 14 Janvier 2011, 16:01
Signaler un abus
Rassemblement de soutien samedi 15 janvier à 14h30
Malgré le discours pseudo-apaisant et "compréhensif" de Ben Ali hier soir, la situation reste très tendue en Tunisie. Voir ici l'évolution de la situation en temps réel sur le site du Monde : 

 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/14/suivez-en-direct-la-situation-en-tunisie_1465727_3212.html#ens_id=1245377  

Un rassemblement de soutien à la population tunisienne aura lieu demain samedi 15 janvier à 14h30 aux Mobiles en haut de la Canebière. Quelques infos sur ce rassemblement ici : 

http://www.millebabords.org/spip.php?article16120

Répondre -

Jan Cyril Salemi
Dimanche 16 Janvier 2011, 01:22
Signaler un abus
Ca y est, Ben Ali est parti. Il a quitté le pouvoir, et même la Tunisie.
Notre titre était intuitif, et surtout, les propos tenus par H. et K. étaient lucides et même prémonitoires. Mais je crois que jamais ils n'auraient imaginé que leur espoir que le peuple "aille au bout" puisse se réaliser en moins de deux jours.

L'Histoire s'écrit souvent sans préavis. La Révolution du Jasmin est la première du XXIè siècle.
Comme toute Révolution, elle traîne son cortège de martyrs, avec le premier d'entre eux, Mohamed Bouazizi, le jeune homme qui, en s'immolant par le feu, a déclenché ces quatre semaines de soulèvement populaire.

La journée historique de l'insurrection du 14 janvier s'est déroulée sous nos yeux, en direct absolu. Encore plus intense que la chute du Mur de Berlin ou la fin des époux Ceaucescu.
Vivre un tel événement à distance de façon aussi intense était bouleversant.

Reste à voir désormais comment se passera la transition.
Reste à savoir aussi quelle conséquence aura cette Révolution. 
Les Tunisiens ont ouvert une brèche. Sera-t-elle colmatée avant que d'autres s'y engouffrent ?
Ou bien est-elle vouée à s'élargir ? 

Répondre -

Romuald
Dimanche 16 Janvier 2011, 13:02
Signaler un abus
Re:
Encore plus intense que la chute du Mur de Berlin ou la fin des époux Ceaucescu.

Pourquoi, « plus intense » ?

Je suis né dans un pays désormais sous dictature communiste, même si comme son grand voisin chinois, la politique économique fondée sur un libéralisme débridé si je puis dire lui permet une bonne croissance, et la Chute du Mur de Berlin est à l'origine de l'éclatement du Bloc communiste, de la fin de la Guerre froide.

Quant à la chute des Ceaucescu, un BBlogueur du BBlog version Bondy compare carrément les dictateurs roumains au règne de Ben Ali..
La chute du « Génie des Carpathes » a cela dit eu une portée très limitée - à celle de la Roumanie.



Il faut en tout cas espérer, pour les Tunisiens, qu'effectivement la vacance du pouvoir ne soit pas récupérée par des politiciens, groupes, visant à nuire aux intérêts des Tunisiens.
La Révolution du jasmin servira-t-elle ensuite d'exemple à d'autres peuples d'Afrique ou d'ailleurs ?

J'ai lu sur El Watan qu'une personne a tenté de s'immoler, et une autre est décédée après s'être immolée.
En Tunisie, tout a débuté suite à l'immolation d'un désespéré....

Répondre -

Jan Cyril Salemi
Lundi 17 Janvier 2011, 22:59
Signaler un abus
Re:
 Salut,

 

Je me suis mal fait comprendre. Quand j’ai dit que c’était encore plus intense, je ne voulais pas parler des événements, ni de l’impact des événements, mais de la façon dont nous avons pu les vivre à distance.
Ceci dit, la Révolution tunisienne aura peut-être un impact et un effet encore plus considérables que la chute du mur de Berlin, ça on ne le sait pas encore. L’avenir le dira, et de toutes façons, ce n’était pas en ce sens que j’utilisais le mot “intense”.

 

En 1989, les directs de la télé étaient déjà très présents, mais internet a donné à la Révolution en Tunisie une proximité et une immédiateté intenses et complètement inédites.
Internet a joué un rôle décisif, non seulement dans la résistance qu’ont menée les Tunisiens, mais aussi dans la perception que le monde a pu avoir de leur soulèvement. 

On a pu suivre quasiment minute par minute la journée du 14 janvier. Avec des acteurs de la Révolution qui racontaient eux-mêmes ce qu’ils étaient en train de vivre, en envoyant des messages ou en alimentant les sites d’infos avec des video filmées sur leurs téléphones.
C’est en ce sens que je voulais dire que cette Révolution du Jasmin était bien plus intense que la chute du mur de Berlin ou la fin des Ceaucescu.

Et si cette Révolution finit par trouver un écho dans d’autres pays, du Maghreb, du monde arabe, d’Afrique, ou d’ailleurs, c’est aussi parce qu’elle était à ce point accessible au reste du monde. Et que peut-être, pour la première fois, des gens commencent à se dire “c’est possible”. Voilà pourquoi “plus intense”. 


Quant à la suite.... Les médias s’interrogent sur la “contagion” aux pays voisins, comme si la liberté était une maladie....

Dans le cas où des gens s’immolent par le feu, on peut effectivement parler de contagion, car c’est le symptôme d’un désespoir absolu. Et j’espère vraiment que ces sacrifices ne vont pas se répandre.
Si par contre, des manifestations populaires et massives parviennent à renverser d'autres régimes autoritaires dans un proche avenir, il ne faudra pas parler de contagion, mais plutôt d’onde de choc. Car ce qui vient de se produire en Tunisie, ce n’est certainement pas une maladie, mais c’est peut-être un séisme. 


Répondre -

Romuald
Mardi 18 Janvier 2011, 12:50
Signaler un abus
Re:
Ah oui effectivement j'avais mal saisi le sens, au temps pour moi. 


Je persiste à penser que, si cette Révolution a pu se produire en Tunisie - et ce alors que personne ne s'y attendait ! - c'est parce que les Tunisiens vivent dans un état laïc qui n'a donc pas le poids religieux.
Par ailleurs, il semble qu'il y ait une meilleure instruction, donc une plus conscience politique.

Enfin, l'armée a peut-être joué un rôle d'arbitre - même si on peut supposer que c'est grâce à l'armée que le clan Ben Ali a pu s'enfuir - alors qu'en Algérie, en Iran etc, l'armée est aux ordres du pouvoir.


Sinon, et je ne suis pas persuadé que ce soit très positif, l'ancien premier ministre a été reconduit ainsi que ceux qui tenaient les postes-clé (Défense, Intérieur, Finances, Affaires étrangères notamment); tandis que les trois ministres d'opposition ont obtenu des postes moins importants politiquement  (Développement régional et local, Enseignement supérieur, Santé publique).

Répondre -

Jan Cyril Salemi
Mardi 18 Janvier 2011, 19:05
Signaler un abus
Re:
Le rôle de l'armée a certainement été décisif. Le pression des émeutes a mis Ben Ali dehors mais il semble bien que ce soit l'armée qui l'ait poussé dans l'avion. En tout cas l'armée a apparemment refusé de tirer sur la foule, le 14 janvier, ce qui a été déterminant. 

Le nouveau gouvernement est bien fragile, plusieurs ministres ont déjà démissionné, dont les représentants du syndicat UGTT.
Parmi les nouveaux ministres, un bloggeur activiste Slim Amamou, connu sous le pseudo de Slim 404, qui avait été emprisonné début janvier, a été nommé secrétaire d'état à la jeunesse et aux sports.
Je ne sais pas s'il fait partie des démissionnaires.

Il risque d'avoir du mal à échapper aux accusations de trahison ou d'opportunisme, mais il aura peut-être les moyens d'influencer le système de l'intérieur.
Fait-il le bon choix ou pas ? Aucune idée, on verra plus tard.
En tout cas, il a donné une interview très intéressante, notamment sur le rôle d'internet pendant la Révolution.
C'est à lire sur le site de Public Sénat, ici : 

http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/case-prison-gouvernement-tunisien-interview-blogueur-slim-amamou-68448

Répondre -