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Deux lycéens rencontrent des prostituées "libres"

Mardi 21/12/2010 | Posté par Saïf Ennajar et Youcef Bensaci

BEST OF 2010 : MARS. Saïf et Youcef lycéens à Victor-Hugo nous ont offert un reportage étonnant sur Marseille, la nuit.

Il est 21 heures à nos montres, un vent violent et froid oblige les gens à entrer chez eux, là où les travailleuses du sexe arpentent fièrement les trottoirs de la rue Sénac. Malgré la morsure glaciale du vent, ces dernières n'hésitent pas à honorer leur profession souvent décriée par la loi. Malgré leur prudence à l'égard des journalistes qui ne cessent de promouvoir leur stigmatisation et de crier haro sur leur métier, elles se livrent à nous progressivement, en choisissant leurs mots qui se révèlent être finalement de la poésie. Voici une reconstitution qui se veut fidèle d'un entretien avec trois de ces Amazones de la nuit...

La première d'entre elles est une transgenre qui manifeste à notre égard beaucoup de mépris, avant d'accepter de nous livrer quelques minutes de son savoir. Nous lui demandons si elle se prostitue librement et si elle considère son activité comme un métier. Elle hausse les épaules, comme pour nous défier, et nous affirme qu'elle a choisi de se prostituer en toute liberté et que son travail, vieux comme le monde, est un travail comme un autre. Nous la questionnons sur le regard moralisateur que les gens portent sur elle. Sa réponse émaillée d'agressivité n'en demeure pas moins réfléchie. Elle affirme ne pas être aliénée et avoir choisi la prostitution sans avoir été influencée ni forcée par quelqu'un. Elle nous incite, sourire aux lèvres, à lire l'histoire biblique de Lilith tout en clamant non sans fierté ses connaissances culturelles. Elle accuse les journalistes de participer activement à la stigmatisation des prostituées. Et c'est la tête haute qu'elle décide de nous abandonner au monde de la nuit... Libre artisane.

Maria dans le métier depuis l'âge de 18 ans !

Quelques rues plus loin, deux habitantes du quartier nous présentent une nouvelle travailleuse du sexe d'origine espagnole. Celle-ci accepte (sur son temps de travail) de répondre à nos questions. Elle se présente à nous sous le nom d'emprunt de Maria. La discussion se déroule cette fois-ci plus sereinement. Nous l'interrogeons sur la liberté de sa profession. Elle nous garantie sa totale autonomie dans ce métier et ce depuis l'âge de 18 ans, nous dit-elle du haut de ses 50 ans. Elle rajoute d'ailleurs que la plupart des femmes se livrant à la prostitution dans le quartier sont libres. Elle nous livre, avec confiance et moult sensibilité, le récit de sa vie...

Étant originaire de la péninsule ibérique, Maria a toujours apprécié le monde de la nuit et a fait du « Carpe diem » épicurien sa philosophie. Or, pour vivre de la sorte, il faut que le porte-monnaie suive. C'est pour cette raison qu'elle a choisi d'exercer en toute autonomie un métier à la hauteur de ses besoins, plutôt que d'être exploitée par un patron pour un salaire dérisoire. Elle nous raconte comment, grâce à cette profession, elle a pu participer à l'éducation de ses neveux (qui s'avérait être onéreuse) et à laquelle ses soeurs, bien que travaillant, ne pouvaient subvenir. Ce choix, elle l'assume : « Je n'ai jamais voulu avoir d'enfant, j'ai parfois eu des regrets mais je ne regrette plus, car cela m'aurait privée de ma totale liberté et réduite au rang d'esclave. J'aime par dessus tout ma liberté.»

Plaisir et argent ?

Maria ne nous cache rien des «risques du métier» : elle cite ainsi une prostituée de la rue récemment assassinée par un client. Elle voudrait pouvoir exercer son métier en toute sécurité, à l'exemple de ce qui se passe dans les pays nordiques, et elle met en garde les jeunes étudiantes qui se prostituent pour des raisons économiques là où elle l'a toujours fait pour subvenir aux dépenses festives. Elle nous avoue également, non sans poésie, être tombée amoureuse de certains clients avec lesquels elle entretient encore des rapports très humains... Or, quelle femme, de 50 ans passés, peut s'entendre dire de la bouche d'un homme de 20 ans son cadet qu'il l'aime ? C'est ainsi qu'elle compare sa situation à celles des femmes mariées de sa connaissance : si certains soirs il faut bien un peu se forcer face à certains clients, quelle épouse pourrait dire que cela ne lui est jamais arrivé ?

À l'heure actuelle, Maria a le choix de se prostituer comme de ne plus le faire, et c'est en toute lucidité qu'elle opte pour la première solution. Son témoignage nous a été précieux et c'est avec énormément d'émotion que nous l'en remercions. Pour conclure, elle dénonce l'individualisme de la profession qui va de paire avec la politique néo-libérale du gouvernement et s'inquiète du manque de solidarité qui tend à se généraliser entres les travailleuses du sexe. La mission qui nous incombe est de rendre avec l'authenticité qui leur est due leur parole, non dans le but de la travestir pour satisfaire les abolitionnistes, mais dans le but de nuancer l'image de cette profession défigurée par le discours moralisateur des politiques. Nous souhaitons par la même occasion rendre hommage à toutes celles qui ont refusé de parler ou que nous n'avons pas pu interroger...

Le Vaisseau de l'infojournal lycéen réalisé dans le cadre du club-presse du lycée Victor-Hugo

Crédit Photo : C. Gorc
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