La petite librairie du Cours Julien
Mardi 12/05/2009 | Posté par Julie Chaudier (EJCM)
Gérard Pio pourrait tenir un siège. Il vend des bouquins d’occasion. Gare aux clients qui cherchent à lui refiler de la marchandise avariée !
Sous les tréteaux d’un échafaudage, l’entrée d’une échoppe, dissimulée : «Librairie du Cours Julien». Il ne fait guère plus chaud à l’intérieur qu’à l’extérieur. La lumière jaune éclaire les livres jaunes. Gérard Pio y vend des livres d’occasion. Atmosphère feutrée, studieuse. Envie de lever les talons quand on marche pour être plus discret. Inutile, le sol est largement couvert de moquette. Dans les profondeurs de l’antre, il redevient brut : la pierre et parfois sous les grandes étagères en bois de lourds tapis. Un paradis pour rats de bibliothèque.
Il ne faut pas s’y tromper. Ici, il s’agit bien de vendre des livres d’occasion et non de «livres anciens». «Lorsque quelqu’un parle de me vendre des livres anciens, je sais qu’il a des livres tout escagassés, abimés», explique Gérard, qui a appris à déceler les hypocrisies. Tiens, un client entre dans la boutique, il vient vendre ses livres… «Avec ma femme nous sommes installés depuis cinq ans à Marseille et l’on vient seulement de déballer nos derniers cartons !» Ensemble, ils ont vadrouillé de par le monde et aujourd’hui, malgré leur immense bibliothèque, certains livres ne trouveront pas leur place chez eux.
«J’ai des livres à vous vendre !», dit-il en posant sur le bureau de bois un sac en papier bourré de bouquins. D’une main distraite, Gérard saisit les trois premiers et les jette sans plus de ménagement. «Ça ne m’intéresse pas. Non.» Une fois le client-vendeur sorti, il éructe : «Vous avez vu ces poubelles ! Même Emmaüs les aurait jetées !» Il est blessé : lui présenter des livres aux pages cornées, pliées, c’est lui manquer de respect.
Ni livres rares, ni loques effeuillées, l’homme vend les livres encore en bon état, oubliés dans les placards des familles. «Quand vous allez dans les librairies de neuf aujourd’hui, comme à la FNAC par exemple, vous ne trouvez que les nouveautés», regrette Gérard. Voilà un autre client : «Je cherche tous les livres sur l’Algérie. J’y suis né», dit-il tout bas, accroupi, contorsionné pour lire les titres sur tranche des livres du rayon du bas. «La dernière fois, ajoute-t-il, j’ai trouvé dans cette collection un livre sur l’église ou je suis né.» Quelques minutes plus tard, il s’approche du bureau de bois qui sert de comptoir un livre à la main : «Je l’achète.»
La petite librairie vend aussi des livres que toutes les éditions ou presque éditent encore. Dans ce cas-là, ce sont les prix bas qui attirent les clients. «Pour le montant d’un seul livre dans une librairie traditionnelle, les clients peuvent repartir avec plusieurs», explique le libraire. Un étudiant en esthétique au Conservatoire nationale de musique de Paris est un de ces affamés de lecture. Il revient à Marseille voir ses anciens professeurs du conservatoire, situé une centaine de mètre plus bas, à côté du lycée Thiers. «Je suis venu avec la liste de Raymond Queneau : les 100 livres qu’il faut avoir lus. Je cherche ceux que je n’ai pas encore», raconte-t-il en désignant sur sa feuille les titres entourés au crayon à papier. «J’ai déjà dépensé beaucoup d’argent ici ! Je préfère ce genre de boutique plus intimiste, avec une atmosphère particulière.»
A bien y regarder, le propriétaire des lieux a tout du garnement. Au milieu de la boutique, sur un meuble, deux flèches ont été scotchées dos-à-dos : «Ici» indique l’une, «Là-bas», indique l’autre. Plus loin, une grande affiche a été suspendue. Une jeune femme en tenue d’Eve lascivement allongée sur une plage dit : «Et voilà, à cause de la crise financière, je me retrouve complètement à poil !», «Et moi je dis : vive la crise !», ajoute un petit personnage. La crise économique préoccupe peu Gérard Pio : «Avec ce métier, on ne peut pas devenir milliardaire, mais on peut au moins joindre les deux bouts.»
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