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La vie d’une place en 45 minutes

Mercredi 06/06/2012 | Posté par Cécile de Ronde

L’été est tout proche, alors avant de lézarder sur le sable, Cécile nous propose une petite promenade en hiver près de la plage. A savourer avant les coups de soleil.

14h30, un après-midi venteux de mars à Marseille. Ralentissant le débit incessant de l’avenue de la Madrague, une déviation attire l’attention sur une petite place discrète traversée de personnages décalés.

Le Connolly’s fait le coin de l’avenue de la Madrague et d’une rue plus petite qui conduit au Bain des Dames. Un pub aux murs fraîchement repeints, ocre et bleu électrique, lions stylisés et arabesques celtiques. Là ralentissent d’interminables files de voitures.

Un homme élancé de type africain, en bleu de travail et gilet fluo, les invite à bifurquer par la petite rue. Derrière lui, une grosse pelleteuse jaune éventre la chaussée entourée d’un essaim d’ouvriers.

Le grand black a rabattu sa capuche. La dernière voiture disparue, il attend la prochaine affluence en faisant des pas de deux dans sa tenue réglementaire. Deux en avant, un de côté, balancé de jambe, deux en arrière, un coup d’épaule. L’auvent l’intrigue, il se ravise. De temps à autre, il s’éloigne en chaloupant pour pousser une barrière. Le riverain rentre chez lui.

Les trois dômes gris pâles de l’église Sainte-Eusébie se découpent sur les roches nues de Pastré. Une place presque déserte et quelques bancs. Sous l’auvent de l’arrêt du bus 19, on voit la mer qui frise au loin.

Enfin il tente : "Vous attendre bus ?" La journaliste interroge à son tour. Gêné, il sourit pour gagner du temps. "C’est pas mon travail arité les ouaturrres." Fièrement, avec des "r" qui roulent : "Jé souis dans terrrrassement. Jé reste pas ici toujours." 

Il regarde autour de lui : le travail, les collègues : Les gens sont gentils, oui. Silence pensif. "Dé la Mauritanie jé viens." Un type à forte mâchoire interrompt : "Pardon, messieurs-dames, pour accéder au centre équestre ?" Le terrassier ne sait pas. Une dame qui traverse la place fait signe de loin en hochant la tête et montre du doigt la rue des religieuses.

Bruits de moteurs et gaz d’échappement. Nouvelle procession de voitures. Recommence le ballet flexible des bras et des jambes. Sur le trottoir, quelques piétons frileux. Une femme anxieuse la main au col sous le ciel maussade.

Autour de la place : un "Traiteur de l’Église" fermé, le long bâtiment austère des sœurs, les gros poings taillés d’arbres nus, l’église aux murs clairs de style romano-byzantin. Deux clochards sur des pliants lisent paisiblement en sirotant une bière. "Trois ans qu’ils sont là", glisse une forte dame à l’accent italien. Pause.

"Je suis née en Egypte. Vous savez, comme Dalida." Attend l’approbation. "Mais pas arabe… Non, pas arabe", ajoute-t-elle.

Un des hommes abîmés jette un œil, une page de journal tourne. Elle dit plus bas : "Ils sont calmes, ça va." Un bâtard ébouriffé en boule sur le banc entrouvre une paupière.

Des résidences silencieuses dorment enfouies dans une végétation nourrie des pluies de février. Sous les lettres lumineuses de la boulangerie qui clôture le coup d’œil, quelques fragiles retraités discutent.

Le temps de tourner la tête, l’homme qui faisait la circulation a disparu. Restent les triangles de signalisation. La rue vide, tout est calme. La touffe d’un grand palmier s’étire hors d’un jardin.



Crédit photo : Jan Cyril Salemi



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