"Les décideurs devraient s’inspirer des inventions des handicapés"
Jeudi 03/05/2012 | Posté par Cécile de Ronde
HANDICAPABLES - Ces jours-ci, le MBB vous propose un dossier consacré au handicap. Cécile a interrogé des personnes touchées par différents handicaps, elle nous mène à la rencontre de chacun. Voici le portrait d'Amar, qui habite du côté de la Plaine.
Vu de son fauteuil, l’accessibilité à Paris et Marseille se valaient. Face à ces constantes barrières, la vie d’Amar Kouissi, privé de quadriceps, n’a manqué ni d’inventivité ni de piquant.
Né d’un père algérien et d’une mère française, Amar contracte la polio à 9 mois et demi. Le couple a oublié de le vacciner. La maladie entre dans sa vie et la révolutionne. Il est remis à la DDASS à l’âge de trois ans.
L’enfant reste quatre ans à l’hôpital Trousseau. A Paris, les médecins tentent différentes améliorations orthopédiques pour l’autonomie de ses mouvements. A sept ans c’est l’internat au centre philanthropique de Bailly : scolarité normale aménagée et beaucoup de kinésithérapie. A onze ans, École Nationale pour Handicapés Moteurs de Garches (ENHM). Plus tard il y intègrera l’Institut professionnel pour des études de comptabilité et bureautique.
Des rencontres qui changent la donne
A Bailly, tout est fait pour parer à tous les handicaps d’enfants. Véhicules à disposition pour les loisirs : théâtre, concerts, cinéma, déplacements sportifs ; compétitions de tennis de table, natation, basket, tir à l’arc, tir aux armes, proposés par Handisport ; un enseignement solide, des pédagogues inoubliables.
Aucun problème d’accessibilité, dans le centre ou ailleurs. Une vie protégée, voire privilégiée. Côté affectif, une famille d’accueil aisée, protectrice. Pour la rejoindre au rez-de-chaussée il descend les marches sur les fesses.
A dix-neuf ans, sorti du cocon des institutions, il fait face aux transports en commun non adaptés sans aucune préparation. Se faire véhiculer en voiture, en camion ou autre, pour arriver à destination, lui paraît plus intéressant, et plus pratique.
Il choisit sa deuxième famille d’adoption. Dans l’Oise, les obstacles à l’accessibilité sont l’escalier sans rampe, des marches partout dans la maison, l’accès au jardin plein de terre. C’est la campagne.
Pris en charge jusqu’à vingt ans par la DDASS, il trouve une petite chambre à Paris dans un foyer Jeunes Travailleurs. L’ascenseur mène au 3e étage, mais l’appartement n’est pas adapté. La polio exige de lui une grande autonomie personnelle et morale. Touché aux 4 membres, il apprend à utiliser ses muscles de façon peu orthodoxe et acquiert une connaissance approfondie de lui-même.
Les obstacles
A vingt-trois ans, le concours d’agent administratif lui permet d’intégrer la DDTE des Hauts-de-Seine, pendant 10 ans. On n’y parle pas handicap, mais il joue le rôle de conseiller en ergonomie, un travail de fond lié à la loi 1975 qui incite les entreprises à embaucher du personnel handicapé.
Fan de foot, il se fait muter à Marseille, le climat du nord rouille ses articulations. Il arrive en 1998, au moment de la Coupe du monde, et affronte les problèmes d’accessibilité propres à la ville. Il monte ou descend l’escalator du métro en fauteuil, dos au vide, en tenant d’une main la rampe de caoutchouc.
Trottoirs sans "bateaux", marches devant les lieux publics, cabinets médicaux, administrations et commerçants, il faut s’extraire du fauteuil et grimper laborieusement les escaliers. Il rappelle que la loi 1975 préconisait l’emploi dans un quota de 6% sans vraie réflexion sur l’accessibilité. Lorsqu’il rend visite à ses amis haut perchés, mieux vaut y passer l’après-midi, voire la soirée, rares sont les ascenseurs.
Au travail, à la Direccte 13 (ex DDTE), une rampe d’accès en dur accueille le personnel, mais les escaliers précédant les ascenseurs interdisent l’accès des services en étage aux visiteurs handicapés. "On me demande mon avis", sourit-il, mais le bâtiment classé monument historique ne souffre aucune modification.
Dehors, les problèmes d’accessibilité sont les mêmes. L’ascenseur le dépose au 4è, mais il y a d’abord une volée de cinq marches. Le logement est petit, les portes trop étroites gênent le déplacement d’un fauteuil. Et l’encombrement de meubles rend le ménage difficile. Il doit se lever et marcher en trouvant ses points d’appui sur le mobilier.
Pour résoudre les problèmes d’accessibilité, il fait appel aux ficelles transmises par les médecins, kinés et thérapeutes pendant son enfance. En 2012, il le quitte pour un second étage temporaire. Il faut s’y hisser à la force des bras puis le descendre, faute d’ascenseur.
Acteur de sa vie
De trois à vingt-quatre ans, vingt-sept opérations sont nécessaires pour la mobilité et l’autonomie du corps dont il rêve. Deux appareils lui maintenaient les jambes, un corset la colonne vertébrale. Les opérations optimisent le mouvement des os en les positionnant différemment.
Comme ce genou affecté d’un flexome qui interdit l’extension et peut désormais se déplier. Il abandonne enfin les derniers supports orthopédiques, laissant derrière lui quinze ans d’appareillages articulés.
En 1992, nouvelle opération de la hanche pour renforcer le bassin et la tenue debout. Similaire à celle de 1983, elle assure la stabilité du bassin et supprime une douleur à la hanche droite. "Mes progrès sont dus aux opérations et à une meilleure utilisation de mon corps", dit-il.
"Les décideurs devraient s’inspirer des inventions des handicapés pour dominer l’obstacle. Elles aideraient à l’amélioration des installations d’accessibilité. Ce qui manque à ce sujet, remarque-t-il, c’est la curiosité, l’échange et le dialogue. Si on considère qu’on fait partie de la société, il nous faut une place : on a besoin les uns des autres. Et considérer notre chance en comparaison avec des endroits tels que l’Afrique où l’accès aux soins est hypothétique. La plainte, ça suffit : on peut quand même être un handicapé heureux en France."
Il insiste sur l’importance d’être attentif dans la rue, au volant, à soi et à ce qui se passe autour de soi : "nous sommes 6 milliards d’êtres humains. Tout le monde peut potentiellement devenir handicapé et chaque personne souffre de quelque chose dans sa vie. Mais un handicapé ne peut pas redevenir valide."
Il raconte : "je discutais avec mon amie dans le hall d’immeuble, le fauteuil sur le trottoir. Trois personnes ont proposé de m’aider." Il conclut : "lorsque quelqu’un propose sa contribution : ne la rejetez pas."
Crédit photo : Takemi Tsugaï
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Réactions des internautes
Samedi 5 Mai 2012, 11:09
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Et quel courage pour affronter toutes ces opérations chirurgicales (27 !!!!!)...
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Dimanche 6 Mai 2012, 22:28
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