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Noailles vote "Boutef’"... mais avec des pincettes

Jeudi 09/04/2009 | Posté par Benoît Gilles

Alors que l’Algérie vote aujourd’hui, à Marseille –surnommée la deuxième wilaya d’Alger-, les Algériens de Noailles suivent les élections sans grande illusion.

«-Vous êtes de quel journal ?  Depuis hier, vous êtes le troisième journaliste à venir dans la boutique». Employé de cette petite boutique de téléphonie située en plein cœur de Noailles, Amir est hilare. «Il y a même un photographe de La Provence qui a fait mon portrait. Je n’ai pas encore vu le journal pour voir si j’étais dessus. Je lui ai dit que j’étais Marocain, mais il m’a dit qu’il s’en foutait, sur la photo, ça se voit pas, il m’a dit».

L’officine où il bosse et l’une des rares à présenter une affiche du candidat-président sur sa vitrine. Sur les autres magasins du quartier, on trouve des publicités pour le prochain concert de Twarab comorien, le coupé-décalé de Jerry Matador ou pour la prochaine soirée de chebs au Florida Palace. Point de président conquérant. Du coup, les plumitifs du coin se précipitent sur Amir. «C’est le patron qui a mis l’affiche mais il n’est jamais là. Donc, les journalistes, c’est moi qui les reçoit».

Heureusement, Lazare, un collègue venu du café voisin, est là pour jouer l’Algérien de service. Lui n’est pas allé déposer son bulletin au parc Chanot où les bureaux de vote algériens se sont installés. «De toute façon, c’est joué d’avance. Bouteflika ou un autre, c’est eux qui le choisissent. Et, depuis 25 ans, c’est pareil, ils tiennent le pays».

«Eux, ils», ce sont les généraux, les barons du FLN, «les vieux. Appelle-les comme tu veux. Ce sont eux qui sont derrière Boutef’. S’il est à la tête du pays, c’est qu’il travaille pour les intérêts de ceux qui lui donnent des ordres.» Lazare n’a jamais pris part à une élection et ne voit pas pourquoi il se prêterait une nouvelle fois à «la mascarade». «J’aime mon pays mais j’en ai marre de ces vieux qui ont le pouvoir. Pourtant j’ai fait mon service militaire, j’ai combattu les islamistes pendant deux ans. Et quand je suis allé voir un patron avec mon diplôme de comptable et mes papiers militaires, il a préféré prendre une fille avec la mini-jupe. Qu’est-ce que je dois faire alors ? Mettre une minijupe moi aussi ? Du coup, je suis ici, parce que dans mon pays, il n’y avait pas d’avenir

Une cliente entrée dans la boutique pour y faire débloquer un téléphone intervient. «Ce n’est pas bien ce que vous dites. Ici, c’est un pays libre, les filles, elles s’habillent comme elles veulent mais là-bas, à cause des mentalités comme la vôtre, les femmes sont opprimées.» Lazare est confus. Il tente de s’expliquer. «Mais madame, je n’ai rien contre les jupes, au contraire. Si j’avais un magasin, moi aussi, je mettrais une fille en mini, c’est commercial…». La dame voit rouge et le débat repart de plus belle. «Comment ça commercial ?».

Juste devant la boutique, Adel suit en souriant le débat qui déborde sur le trottoir. Lui non plus ne votera pas. «J’ai voté une seule fois dans ma vie et je ne suis pas près de recommencer. A quoi bon ? Depuis l’indépendance, ce sont toujours les mêmes têtes. L’Algérie est une grande prison sans barreaux. On a la liberté oui, mais entre les murs. Les jeunes motivés, diplômés, vont voir ailleurs. Franchement, ça fait la honte».

Un peu plus loin, rue Longue des Capucins, les rares affiches de Bouteflika ont laissé place à des affiches génériques distribuées par le Consulat appelant au vote d’un grave : «L’Algérie est votre devoir.» Jeune gérant de la boucherie Galia, Mustapha a collé l’affiche et suivi son slogan. «Je suis allé voter hier au parc Chanot et, franchement, il n’y avait pas grand monde. Il paraît que c’était plein ce week end. Mais, en semaine, les gens travaillent.» Mustapha est content, il a fait son devoir comme tout le monde dans la famille. En revanche, autour de lui, les collègues n’ont pas voté. «La vérité, on n’en parle même pas. Mais pour moi, voter aux élections algériennes, c’est aussi important que de voter pour la présidence en France. Comme j’ai la double nationalité, je vote des deux côtés».

Il a voté Bouteflika car «le pays a changé depuis qu’il est là» mais Mustapha ne se fait pas d’illusion sur le caractère démocratique de l’élection aux allures de plébiscite. D’ailleurs, il n’a pas mis l’affiche du président. «Y a des gens qui m’ont collé une affiche en me forçant la main, mais, je l’ai tout de suite enlevée. Mes clients ne sont pas forcément d’accord et je ne veux rien leur imposer
Ce soir, il regardera le journal pour avoir les premières tendances de la participation, seule inconnue du scrutin.

Photo: Lydie Marlin

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Benoît Gilles -