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Paroles de CRS (presque) indignés

Jeudi 22/12/2011 | Posté par Jan Cyril Salemi

Ce matin, un jeune homme, un de plus, est tombé sous les balles d'une rafale de Kalachnikov. Mais que fait la police ? Il y a quelques jours, elle évacuait violemment le camp des Indignés sur le Cours Julien. Ce soir-là, Jan Cyril a rencontré deux CRS pas vraiment en phase avec leur mission. Le reflet d'un malaise général ? Peut-être bien.

Appelons-les Dupont et Dupond. Il est 1h du matin, samedi 10 décembre sur le Cours Julien. Le campement des Indignés vient d'être évacué une heure auparavant. Dupont, la cinquantaine, cheveux grisonnants, Dupond, la trentaine, brun. Tous deux font partie de la quinzaine de CRS postés autour des fontaines pour empêcher le retour du camp.

Je m'approche. Je lance :
"Vous allez rester là toute la nuit ?
Ça m'en a tout l'air, me répond Dupont, blasé. 
- Vous avez l'air dégoûté... 
Haussements d'épaules et de sourcils. 
- Vous seriez mieux chez vous, c'est ça ?
Je vous le fais pas dire."

On part sur de bonnes bases. La discussion s'annonce constructive. Elle va l'être, au-delà de tout ce que je pouvais imaginer.
La première chose qui frappe chez eux (si on peut dire), c’est que tous deux ont l’air sympathique. Difficile d’imaginer qu’il y a à peine une heure, ils distribuaient des coups de matraques à tout va. 
L'intervention pour évacuer les Indignés et vider le Cours Julien a été particulièrement musclée. Gazage en règle et brutalité aveugle.

"Faut pas rester au contact"
Je poursuis la discussion à ce sujet :
- "C'était très violent tout-à-l'heure...
- Pas tant que ça, répond Dupont. J'ai fait des interventions biens plus dures que ce soir. Faut pas rester au contact, c'est tout. Quand on dit de partir, faut partir. Faut pas rester au contact, sinon on est obligé de réagir."

"Faut pas rester au contact". C'est le leitmotiv de Dupont, il répétera cette phrase plusieurs fois pendant notre conversation. 
Je lui fais remarquer :
"Quand même, c'était un peu démesuré, pour dégager quelques types qui voulaient juste dormir dehors...
- C'est vrai, concède-t-il, mais c’est comme ça. On a des ordres, on applique."

Bien sûr. Incontournable. Il poursuit :
"C'est comme ça, c'est de la politique. On avait reçu l'ordre de pas les laisser s'installer.
- Qui l'a donné, cet ordre ? 
- Ça vient d'en haut. 
- Le préfet ? Gardère ?
- Oui. Et lui, il reçoit ses ordres d'encore plus haut."

Conseils pratiques
Dupond vient se mêler à la conversation :
"De toutes façons, ça sera comme ça jusqu'au mois de mai. Jusqu’aux élections. On est là pour faire des coups. Et pour donner des coups. Maintenant, la police a toujours le mauvais rôle. Normalement, on doit être au service du public, mais là, on n'a pas l'impression que ce soit le cas. 
Plus ça va, plus on sort de notre mission de service public. On est en train de devenir une entreprise privée. Faut qu’on fasse du rendement, du chiffre. Ils nous réduisent les effectifs, et ils nous demandent des résultats !"

Le policier explique tout ceci très calmement. Il est jeune, mais il a visiblement suffsamment d'expérience pour être lucide sur la situation. Il continue : 

"Nous deux, on n’est pas d’ici, on est là depuis quinze jours. On est les renforts. On est censé rester cinq mois à Marseille. On vient de l’autre bout de la France. Et pendant qu’on est ici, vous savez qui ils ont envoyé chez nous ? Des bataillons du sud-est ! Vous trouvez ça logique, vous ? Et après, on vient nous dire qu’on coûte cher !

- Finalement, vous êtes pas loin de penser pareil que les gars que vous venez de virer..."

Ils sourient tous les deux.
- En tout cas, reprend Dupont, ils sont pas méchants. Et ils sont pas nombreux non plus.
Puis son collègue se lance dans une série de conseils pratiques aux Indignés :
- Pourquoi ils viennent se mettre ici ? Ils savent bien comment ça va finir. L’important pour eux, c’est d’avoir de l’impact médiatique, de faire passer leur message. S’ils se mettent ici, qui va parler d’eux ? Il faut qu’ils aillent sur des voies ferrées, qu’ils bloquent les trains. Ou qu’ils s’installent devant la Préfecture, par exemple. Là, ça aurait de l’écho.
- Devant la Préfecture ? Ils tiendraient pas deux minutes...
- C'est pas si sûr. En tout cas, ça aurait plus d'impact qu'ici."

Comme un malaise
La discussion devient de plus en plus déroutante. Ils finissent par se lâcher complètement tous les deux.  

"On a les boules, nous aussi, dit Dupont. On a des collègues qui se font tirer dessus, qui se font tuer. Tout-à-l'heure, des gens nous ont dit : "pourquoi vous allez pas plutôt chercher les Kalachnikov ?" On sait bien qu’y a mieux à faire que de passer la nuit ici. On préférerait faire des missions plus utiles."

Dupond poursuit : "Nous aussi, on en peut plus. On est traqué par Gardère. Il passe en scooter en ville, par surprise. Il fait des rondes pour nous surveiller. Il nous lâche pas. Il a des comptes à rendre, alors il est sur notre dos 24 heures sur 24."

Un petit groupe approche de la fontaine. Une jeune femme sort son portable, et se fout d’eux gentiment : "C’est très artistique, comment vous êtes disposés. Je peux vous prendre en photo ?" 
Dupont et Dupond rigolent. Ils jouent le jeu, ils prennent la pose. Dupond drague un peu la fille qui fait des photos.

Quand un pays connaît des émeutes, bien souvent, le moment décisif, c’est quand les forces de l’ordre refusent de servir le pouvoir et se rangent aux côtés des manifestants. On n’en est pas encore là. Mais on n’en est peut-être pas si loin.


Crédit photo : Jan Cyril Salemi

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