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Plus belle la rue

Mercredi 13/10/2010 | Posté par Sharif

SHARIF A RENCONTRE CYRIL, un candidat au Koh-Lanta des rues comme il dit. Un portrait juste, sans voyeurisme ni misérabilisme d'une personne qui vit dehors. 

Pantalon large et torse nu, blond au teint bruni par le soleil, Cyril s’active à une de ses passions préférées: les mots fléchés. A 31 ans, cet Annecien dépassant les 1m83 -que l'on pourrait confondre avec un polonais- d’allure svelte et sportive vit depuis déjà trois ans dans la rue. Accompagné de son inséparable beauceron Thorgal, il a choisi un parking* abandonné comme terre d’accueil. "Sa maison ", une large planche contre une paroi de fer recouverte d’une bâche verte avec à l’intérieur un sac de couchage.
A la fameuse question « pourquoi la rue ? » Cyril, comme gêné synthétise « une séparation, un laisser aller, une mauvaise gestion de ma vie, et bim…la rue quoi! » Et d'ajouter « Quoi qu’il nous arrive dans la vie il faut penser à soi-même, être un égoïste et ne pas baisser les bras.»

Après une scolarité normale, il obtient son BEP MSMA**. Comme tout jeune diplômé il part à la recherche d’un emploi. « Brancardier, serveur, plombier, électricien, plaquiste, et j’en passe, j’ai tout fait, je suis un caméléon de l'intérim » se plaît-il à dire. Il vadrouille et à Antibes défait son baluchon y fonde un foyer et aura une petite fille qui a maintenant sept ans. Au CREPS* de la ville, bricolage et entretien du matériel l’attendent. Le temps passe et Cyril se lasse « j’avais envie de voir autre chose, d’autres gens.»
Avec sa famille, il se retrouve à Marseille, et la suite, vous la connaissez…enfin presque.

Malgré les propositions d’hébergement par ses proches et amis il choisit la rue comme seule « compagne.» Une situation qui le forcera à changer ses habitudes. « Petit à petit le temps nous sépare de nos potes, on ne fréquente plus les mêmes lieux, on ne partage plus les mêmes passions…c’est comme ça on n’y peut rien… »
Sans ostentation, il se remémore l’époque où il avait encore un toit. « Il m’est arrivé de proposer à des mecs qui dormaient dans la rue une douche, un repas, ou même une nuit bien au chaud.» Car pour lui, la rue rime avec manque d’hygiène , « c’est le parcours du combattant pour prendre une douche ou même aller au WC.»

Dés le lever du soleil, Cyril et son molosse se dirigent vers les bouches de métro afin d’y récupérer les journaux gratuits pour se tenir informé de l'actualité. Une fois « la bouffe » achetée il s’octroie une balade avant un pique-nique et une petite sieste. « Adoptez-nous! » lance Cyril avec un sourire mi-charmeur mi-innocent aux demoiselles croisées dans les rues de Marseille. Et il insiste bien sur le « nous », car sans son fidèle animal il n’est pas question de repartir seul aux bras d’une belle. Son "gros toutou"( d'après le site: race de grande taille, solide, rustique, puissante, bien charpentée, musclée et sans lourdeur) il ne le lâcherait pour rien au monde. «Je me suis déjà vu refuser des logements parce que je voulais garder Thorgal, je ne peux plus m'en séparer!» Et comme pour lui prouver son amour, il lui a crée un site internet (http://mermalness.c.la/).
 
Au problème d'appartement et du chien s'ajoute celui de l'alcoolisme. Alors Cyril, pour ne pas boire, meuble ses journées car, insiste-t-il « le pire ennemi de la rue c’est l’ennuie, ne rien faire…et souvent pour ne plus gamberger on se tourne vers la bouteille…» et d'ajouter un brin taquin, sourire au coin « ceux qui boivent pour oublier devraient commencer par oublier de boire.» Et des passions, il en a plein les tiroirs. Le soir, seul ou en compagnie de son ami de fortune Yves (vit dans ce parking), il s’entraîne. A l’aide de techniques de frappe venant des arts martiaux ou armé de son nunchaku et de son bâton, il tue… le temps. Il est aussi très curieux et la lecture, c’est son dada! « certains habitants du quartier le savent alors ils m’offrent des magazines, des livres, des BD, je m’en achète aussi.» Il réalise même une BD avec des personnages comiques (Yves et lui en font partie) qu’il dépose dans une maison d’édition dont il attend une réponse.

Vivre dans la rue c’est aussi de drôles d’anecdotes.« Un jour des jeunes ont demandé du feu à un corse qui leur a sorti un flingue en criant vous voulez du feu hein? C’est du feu que vous voulez? Ils sont tous parti en cavalant, moi j’ai bien ri et on a sympathisé. »
Il y a aussi celle qu’il surnomme "la petite fée de la place Sébastopol" « Elle sortait par le balcon et me criait t’as mangé…? Puis du jour au lendemain elle a disparu… »
Il a même déambulé dans les rues avec un gros panneau écrit dessus « cherche emploi, cherche appart'».

D’après Cyril, « c’est le regard que porte les gens sur moi qui me fait vraiment ressentir ou est ma place dans la société, qui me fait ressentir que je suis en fait…un homme comme les autres.»
Comme dirait l’écrivain Amin Maalouf « C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances et c'est notre regard aussi qui peut les libérer.» Alors à vos regards! Prêts! Partez!

 
* adresse non citée intentionnellement
**Maintenance des Systèmes Mécaniques Automatisés

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