Scène de transport
Mardi 02/10/2012 | Posté par Gaëlle Cloarec
A Marseille, circuler en transport en commun relève de l'aventure quotidienne. Non seulement parce que le réseau est loin d'être à la mesure de l'étendue de la ville. Mais aussi parce que des tragi-comédies sociales peuvent surgir d'un moment à l'autre. Bienvenue à bord.
La rentrée, c'est un moment qui stresse ou qui stimule, selon les jours et les états d'esprit. A Marseille comme ailleurs en France, on retrouve ses marques, on a un certain nombre de démarches à accomplir, on doit pas mal se déplacer. On prend le bus. Comme les horaires reprennent plein pot, les contrôleurs déboulent en rafale. Une fois, deux fois dans la journée, et c'est le manège coutumier du devoir accompli pour la frange en règle des passagers, des regards anxieux et des échappatoires pour les resquilleurs.
Mardi 11 septembre 2012, je rentre d'un quartier excentré en transports en commun, j'attrape le 54 au niveau de la Timone, je m'installe au fond du bus pour écouter des chants lyriques loin du moteur. Je suis entourée de filles, jeunes, bavardes, bravaches. Deux arrêts plus tard, d'autres filles montent, dont une enceinte jusqu'aux yeux. Et puis ce sont les contrôleurs qui surviennent, trois hommes en pleine force de l'âge, dans leurs uniformes bien coupés.
Alarme côté filles. Une paire d'entre elles est rapidement cernée : "Sortez vos papiers. Comment ça vous n'en avez pas ? Regardez bien au fond de ce sac, de toutes façons si vous ne pouvez pas en produire, direction la Préfecture."
Soudain, c'est la fronde. La plus rebelle refuse absolument de se soumettre et décide de passer outre, en escaladant s'il le faut les sièges des autres passagers puisque les contrôleurs occupent l'allée centrale. Erreur stratégique flagrante : elle enjambe la jeune femme enceinte, qui s'insurge illico.
En deux deux, la situation devient absolument hystérique. La future mère hurle à pleins poumons qu'elle va arracher les yeux de la cascadeuse, laquelle réplique vertement et essaie de lui empoigner les cheveux. Les copines des deux parties s'en mêlent : cohue, volume sonore insoutenable, le véhicule tangue sous la menace de violence physique.
Les trois agents assermentés se répartissent intuitivement le boulot : le plus maternel tente de maintenir la piétinée ("Mais calmez-vous madame, vous êtes enceinte, ce n'est pas bon pour le bébé"), laquelle hurle "Je suis une folle moi, je vais te tuer !" à la piétinante.
Le plus sportif barre la route à cette dernière, qui poursuit désormais deux objectifs en apparence contradictoires : ne pas sembler céder le terrain et s'enfuir. Il se retourne vers l'assistance tout en la contenant, et lance : "Vous voyez, c'est comme cela qu'il ne faut pas éduquer vos enfants !"
Le plus observateur intervient auprès d'un passager hilare, qui a dégainé son smartphone pour poster la scène sur You Tube : "Monsieur vous ne pouvez pas faire ça, effacez-moi ce film tout de suite."
Les mémés de l'avant sont médusées. Le chauffeur consulte par radio sa hiérarchie, puis bloque les portes du bus et snobe les arrêts, direction le commissariat rue de Rome ("Pourvu qu'il ne soit pas fermé !") Manque de pot, il l'est.
La situation se corse, car quelques passagers s'extrairaient volontiers de ce poulailler pour voguer vers des horizons plus calmes. A l'arrière, la rage a fait place à un statu quo marqué par les sanglots de la jeune femme enceinte, qui déverse sa détresse dans le giron du contrôleur désemparé : "Vous comprenez, depuis des années j'ai dû tout assumer toute seule, tout !" C'est bien le problème, derrière ce déchaînement de violence verbale presque comique, on discerne ce qui relève de la violence sociale la plus ravageuse, et on se sent impuissant.
Les quelques non-impliqués finissent par pouvoir sortir discrètement avant que les forces de l'ordre ne prennent en charge le dossier, et je reste songeuse sur le trottoir. Quel dur métier que celui d'agent de la RTM. Pour un peu, les trois pauvres contrôleurs se seraient retrouvés avec deux femmes entre-égorgées et un bébé prématuré sur les bras. Mais ça, c'est dans les films.
Crédit photo : marcovdz (Flickr)
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Par Tony Off