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Décoloniser le féminisme

Mardi 03/07/2012 | Posté par Christine Gorce

Le week-end dernier, Christine Delphy, figure historique du féminisme matérialiste, donnait une conférence à Marseille pour évoquer les questions liées à la laïcité, à l'islam et au féminisme. Christine assistait aux débats.

Christine Delphy, fondatrice avec Simone de Beauvoir de la revue "Questions féministes", a été en 2007, avec "Classer, Dominer : qui sont les “autres” ?", l'une des rares voix féministes à secouer le consensus laïciste autour des affaires de voile. Elle était à Marseille samedi dernier pour parler d'islam, de laïcité et de féminisme, trois mots dévoyés, selon elle, pour mieux nous diviser.

Initiée par le Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles, le groupe Perspectives Plurielles et le collectif Agir pour nos libertés 1, cette rencontre réunissait une palette de composantes qu'il est rare de trouver réunies en un seul lieu.

Des féministes mainstream, des femmes de culture musulmane (voilées ou non), des militant-es d'extrême gauche, quelques Lesbiennes Gays Bi et Trans (LGBT), un monsieur qui pensait que “la religion, c'est de la merde” et un autre pas, ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas.

D'emblée, Christine Delphy pointe l'islamophobie dans la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l'école ainsi que dans le train de mesures législatives qui s'en est suivi. Loi anti-burqa en 2010,  assauts du ministère de l'Éducation nationale contre les accompagnatrices voilées de sorties scolaires en 2011, loi de prohibition du foulard dans les crèches et les garderies en 2012  : la laïcité n'est-elle pas en train de couvrir la transformation du racisme anti-Arabe en “racisme respectable” ?


“N'êtes-vous donc pas jolies ? Dévoilez-vous !”
Le slogan ci-dessus est issu d'une affiche réalisée par l'armée française pendant la colonisation pour inciter les musulmanes à se dévoiler. Pour Delphy, le discours actuel repose sur un substrat colonial dont le sous-texte est généralement méconnu.

En Algérie, dès les premiers temps de l'occupation, les femmes algériennes sont constituées en enjeu politique de la colonisation : il faut les conquérir (les dévoiler, les émanciper), pour en faire le vecteur de la mission civilisatrice française. Frantz Fanon a relaté dans "L’An V de la révolution algérienne", ces cérémonies de dévoilement au cours desquelles les Algériennes étaient invitées à brûler leur voile en public.

C'est ainsi au nom de la façon dont les musulmans traitent leurs femmes qu'ils peuvent être dits inférieurs, barbares ou moyenâgeux. Peu importe qu'au même moment les femmes de France soient, en raison de leur imbecillitas sexus (ou faiblesse du sexe), traitées en incapables civiles.

“L'islam est une bonne raison de ne pas accorder aux “indigènes” les droits qui sont les leurs, de les maintenir dans une infériorité statutaire légale. D'un côté la charia est dite mauvaise pour les femmes, mais de l'autre on refuse d'appliquer le code civil français aux indigènes.”

On a ainsi des populations autochtones qui sont françaises sans être citoyennes, à l'image des femmes françaises de la même époque, comme si les préoccupations féministes brandies d'un côté de la Méditerranée se taisaient mystérieusement de l'autre.

De l'histoire ancienne ? En 2001, remarque Delphy, en pleine guerre d'Afghanistan, Laura Bush est poussée devant les caméras pour dire son engagement en faveur des femmes afghanes. En 2003, au début de la guerre d'Irak, c'est Cherie Blair qui s'exprime à son tour pour en appeler à la libération des femmes irakiennes.

L'argumentaire féministe ne manque pas de resurgir quand il s'agit de se fabriquer un ennemi pour entretenir des desseins prédateurs et agressifs par rapport au monde.”

Au même moment la France, qui ne s'est pas engagée en Irak, y va de sa contribution. Réunie pour réfléchir à l'application du principe de laïcité en France, la commission Stasi aboutira par ses propositions à la loi de 2004 sur le foulard. Une commission majoritairement composée d'hommes (assez peu féministes), désignés pour réfléchir à la libération de la femme musulmane, par son exclusion.


“Les féministes se sont voilé la face” (une auditrice)
Face au voile, Delphy témoigne de réunions féministes marquées par un racisme impensé, viscéral : on parle des femmes voilées à leur place, comme si elles n'étaient pas là. On ferme une liste de diffusion dans laquelle a été émise l'idée que les descendant-es d'immigré-es ont fini par trouver dans l'oumma (la communauté des croyants musulmans), la place qu'ils n'ont pas dans la société française.

En laissant le féminisme servir de prête-nom à une “laïcité” duplice, intrusive et discriminatoire, les féministes ont connu de l'avis de Delphy une défaite dont elles ne sont même pas conscientes : “le féminisme n'a plus gagné aucune victoire depuis l'IVG... à part la loi sur le voile.”

Selon Fatima Chibane (du collectif Agir pour nos libertés) “le problème des féministes, c'est d'avoir choisi entre être des femmes solidaires avec des femmes ou des blanches solidaires avec des blanc-he-s.” 

Au prix d'une confusion fâcheuse, comme le rappelle Christine Delphy, en citant l'iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix 2003, qui s'est élevée à la fois contre l'obligation de porter le voile et l'obligation de ne pas le porter. “Ce qui est bien pour la femme occidentale, renchérit Fatima Chibane, ce n'est pas de s'être dévêtue, c'est d'avoir acquis le droit de le faire, ou de ne pas le faire... C'est d'avoir eu le choix.”




Notes :
Le féminisme différentialiste postule une différence naturelle entre le masculin et le féminin justifiant leur différence de traitement. Au contraire du féminisme matérialiste qui voit dans cette différence une construction culturelle, sociale et politique destinée à étayer la domination d'un groupe sur l'autre.


1 : Le collectif Agir pour nos libertés a investi le siège du PS 13
le 26 janvier 2012, pour protester contre la loi interdisant le port du voile aux assistantes maternelles.



Crédit photos : Christine Gorce



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Christine Gorce -


Réactions des internautes

Amélie
Dimanche 2 Septembre 2012, 17:48
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Décommunautariser le bondy blog ;-)
Simone de Beauvoir, universaliste, aurait certainement condamné le voile. On aura compris que Christine Delphy, qui semble se recycler auprès des associations communautaristes à défaut de parvenir à se faire entendre dans des cercles plus éclairés, n'aborde pas la contrainte, la servitude volontaire, la question du voile chez les fillettes, les violences envers les femmes qui cherchent à s'émanciper (il serait cruel de convoquer le lynchage d'un élu franco-tunisien dont la femme et la fille de 12 ans (la lubricité n'attend pas le nombre des années) se promenaient dans l'espace public en tenues d'été).

Quant au terme "décoloniser", il se marie mal avec un concept ou une manière de penser. C'est plutôt un terme de novlangue utilisé dans certains milieux. 

On rappelera à juste titre que l'islam ne distingue pas le sacré du profane, n'opère pas de séparation entre le spirituel et le temporel, ne reconaît pas l'égalité entre les hommes et les femmes mais qu'il sépare, en revanche, les personnes en fonction de leur sexe et de leur appartenance, réelle ou supposée, religieuse. 

http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-charles-duboc/240812/charia-declaration-de-bruxelles-2012


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