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Sur les tristes marches de la République (Première partie)

Mercredi 24/11/2010 | Posté par Pierre-Julien Bouniol

A MARSEILLE, POUR DEPOSER une première demande de titre de séjour, il faut passer la nuit devant les grilles du service de l'immigration, sans être sûr de voir son dossier traité. Récit d'une nuit peu ordinaire.

Chaque nuit, été comme hiver, le phénomène se répète au 66 rue St Sebastien, à Marseille, devant les "Services de l’immigration et de l’intégration". Des dizaines d’étrangers attendent, avant même que la nuit n’arrive, l’ouverture des bureaux le lendemain à 8h15, obligés de dormir dehors à même le sol. Ici, on traite toutes les demandes officielles des étrangers (asile, renouvellement de titre, changement d’adresse etc...). Pour tous ces services, il est préférable de s’y rendre tôt. Mais pour espérer déposer un dossier de première demande de titre de séjour, c’est la veille qu’il faut arriver !
Attente minimale : 12 heures et rien ne garantit l’accès au guichet, encore moins la satisfaction de la demande. Car dans la France de Nicolas Sarkozy, on craint les "appels d’air" selon les mots du secrétaire général adjoint de la préfecture. Alors pour éviter que la France ne devienne un vaste courant d’air, on ne reçoit que 20 personnes chaque jour dans le 3è département le plus peuplé de l’hexagone.
Sur les marches de ce cube à l’âme soviétique, s’entassent ainsi des dizaines de personnes pour une attente interminable. Toutes ont l’espoir d’obtenir un ticket, sésame absolu pour déposer - seulement déposer - ce fameux dossier à côté duquel elles passeront la nuit.
1h52 : j’arrive au pied des marches, tout le monde me salue courtoisement. Quelqu’un demande mon nom pour m’inscrire sur la liste. "Non, je ne suis pas là pour ça, je suis journaliste". "Mais vous êtiez où depuis tout ce temps ? Vous voyez comme ils nous traitent... pas mieux que leurs chiens", une voix s’indigne dans l’ombre.
C’est Salah qui a parlé, un Kurde d’une cinquantaine d’années, il passe sa deuxième nuit sur les marches. Son français est correct (25 ans qu’il réside ici), il vient déposer un dossier pour sa belle-fille. La veille, il manquait un tampon sur un papier alors il a couru toute la journée pour l’obtenir et le voilà à nouveau couché devant les grilles à attendre l’ouverture dans... 6h24. Il est huitième sur la liste que lui-même tient à jour depuis 18 heures. Il devrait pouvoir accéder au guichet. Je jette un oeil sur la fameuse liste. J’aurais été 21è, autant dire recalé. À deux heures du matin, il est donc déjà trop tard...
Sur le perron, on a récupéré des cartons afin de s’isoler du froid et on les a disposé pour la nuit. Quelques hommes sont enroulés dans leur couverture et dorment par intermittence. Une Comorrienne de 50 ans essaie aussi de trouver un peu de repos. On m’explique qu’elle patiente là depuis ce matin. Elle sourit, exténuée, avant de se replonger dans un drap trop mince pour la couvrir complètement. D’autres discutent debout, tentent de se rassurer sur l’enjeu, espèrent, car ils n’ont d’autres choix que d’espérer.
Quand on leur demande comment ils ont su qu’il fallait venir si tôt, tous répondent qu’ils n’en sont pas à leur coup d’essai. Ercan, jeune turc de 25 ans, associé d’une entreprise de maçonnerie (en règle donc !) s’est présenté cinq fois avant de franchir cette fameuse barrière dans les vingt premiers. Il était arrivé à 17 heures...
Aziz veut parler. Il veut me raconter son histoire, me montrer les preuves, lui qui est en France depuis 10 ans, dont la fille est né ici. Il en a marre : "on est des travailleurs, on contribue à l’Etat et je ne peux même pas prendre de congés payés. Je vis avec la peur au ventre quand je prends l’autoroute, quand je travaille..." me dit-il cerné de fatigue avant de lancer avec fatalité "c’est ça la vie des pauvres."

Deuxième partie à 13h : suivez le reste de la nuit, jusqu'à l'ouverture du service de l'immigration, entre déceptions et (dés)illusions

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Pierre-Julien Bouniol -