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Deuil dans la colère pour les Comoriens de Marseille

Mercredi 01/07/2009 | Posté par Benoît Gilles

Après le crash de l’A310 de Yemenia Airways aux larges des côtes des Comores, les Comoriens de Marseille oscillent entre douleur et colère. Toute la journée, ils ont arpenté la ville pour faire entendre leur ras-le-bol des «cercueils volants».

Ils forment une vague mouvante. Des femmes en nombre coiffées des salova traditionnels, les hommes aux bonnets brodés d’or ou têtes nues. Il est midi. Ils viennent juste de faire fermer Massilia Voyages, l’une des agences chez qui les Comoriens de Marseille ont l’habitude d’aller acheter leur billet pour rentrer au pays. C’est la saison des grands mariages à Ngazidja, la plus grande des îles. L’avion était plein de « je-viens » ainsi qu’on appelle les Comoriens de France. La foule avance. Il y a là une centaine de personnes très remontées. «On veut que les agences de voyages ferment au moins une journée en signe de deuil et de solidarité. C’est là qu’on achètait nos billets de Yemenia Airways.»

On est loin du « calme et de la sérénité » que les médias locaux ont l’habitude d’attribuer à cette importante communauté de la ville (80 000 ressortissants, chiffre invérifiable). Les poings sont levés, les sourcils froncés, le verbe haut. « Nous les Comoriens, on est comme des frères, on est tous touchés, témoigne une jeune maman. Mon fils de 10 ans ne veut plus prendre l’avion. Il ne veut plus aller aux Comores. C’est grave, quand même.» Autour d’eux, une myriade de reporters tente d’accrocher une image ou un témoignage.

Jeune élu d’arrondissement du centre ville (PS), Nassurdine Haidari a laissé de côté son costume politique. Là, c’est pour sa communauté qu’il mouille la chemise. «Nous ne pouvons pas faire notre deuil. Nous réagissons à chaud sous le coup de la colère. Contrairement à ce que dit Dominique Bussereau, le ministre des transports, tout le monde savait que la compagnie Yemenia nous faisait embarquer sur des avions poubelles dans lesquels on risquait nos vies.»

À ses côtés, le président de l’association Sos Voyages Comores enchaîne : «J’ai envoyé une lettre recommandée au ministre, il y a cinq jours. Et nous avons manifesté il y a un an à l'aéroport de Marignane, le 11 août 2008. Déjà, on protestait contre les avions poubelles et les cargos de la mort, et aussi contre la cherté des billets, martèle Farid Soihili. La Préfecture était prévenue puisque c’était une manif autorisée. Si Dominique Bussereau n’est pas au courant, cela veut dire que personne n’a fait remonter nos revendications. Je ne veux pas croire ça.» Le groupe finit par se séparer et donne rendez-vous dans d’autres agences.

À 14 heures, boulevard de la Libération, l’agence Tavao a déjà tiré son rideau. Devant, des CRS détachent leurs jambières. «Les Comoriens ne sont pas venus», déclare l’un d’eux. En effet, les manifestants ont choisi une autre cible, boulevard des Dames, près de la porte d’Aix où ils ont l’habitude de se réunir. Là aussi, l’agence a tiré le rideau devant l’insistance de ses clients.


Rideau de fer
Devant le fer baissé, Iden Soilah attend qu’un micro se tende pour dire sa colère. Il a failli être sur ce vol. Un problème de papiers a retardé son départ. «Moi, je n’en veux pas à Yemenia seulement. On sait comment le monde est fait, il y a des voleurs partout. Je ne veux pas dire non plus que c’est la volonté de Dieu. Je suis croyant mais il faut en finir avec la fatalité. J’en veux au gouvernement comorien qui sait très bien comment ça se passe. En partance de Marseille, les avions sont aux normes et une fois arrivés à Sanaa, on embarque sur de véritables cercueils volants. J’en veux à l’État comorien qui n’a rien fait contre cela et qui n’est même pas capable d’envoyer des vedettes rapides pour récupérer les survivants.»

En février dernier, lors d’une visite du président Sambi que le Marseille Bondy Blog avait couverte, le président de l’Union des Comores s’était engagé à trouver une solution à ce problème récurrent. Lui-même avait embarqué sur un avion de Yemenia, avait-il assuré, faisant cause commune...

15 heures. Là colère a déjà changé d’endroit. Un des manifestants présents prévient : « C’est au Consulat des Comores que cela se passe. La communauté se réunit pour tenter de trouver une unité.» Là-bas, au cœur des quartiers nord, aux Aygalades précisément, un cordon de CRS borde l’entrée du tout nouveau consulat. Dans la cour, sur le perron, c’est l’empoignade. Les proches du consul honoraire, Stéphane Salord, ne veulent pas faire entrer les ressortissants réunis là. Des mots durs s’échangent, la tension est grande. Un homme prend la parole : «Ce que nous regrettons c’est que le consul ait appelé la police. Tout cela parce qu’il a été insulté à Marignane et qu’il en a été blessé. Mais ce n’est pas une raison pour nous recevoir avec un cordon de policiers.»

Défiance
La discussion reprend, animée. Certains veulent voir sortir les nombreux journalistes pour régler le différend à huis-clos. D’autres les prennent à témoin et sollicitent leur présence. Le consul honoraire finit par arriver, vite submergé par une vague de journalistes et de Comoriens mécontents. Il s’explique : «En aucun cas je n'ai appelé la police. Je n’étais au courant de rien. Si je suis là c’est pour vous entendre, pour que nous agissions ensemble. S’il faut chercher des responsabilités du côté de l’État comorien, comme de l’État français, ou auprès des instances internationales, je le ferai à vos côtés.»

Le calme finit par revenir et une réunion commence. La presse, un temps écartée, finit par être conviée pour servir de témoin. On sent une profonde défiance entre les Comoriens présents et le tout nouveau consul, ancien élu Ump d’Aix-en-Provence. Il finit par mettre tout le monde d’accord pour lancer une discussion sereine qui fera l’objet d’une synthèse. «Soutenez-vous le boycott de Yemenia ? », l’interpelle l’un des participants. «Vous avez mon soutien de principe», rétorque le Consul.

Saïd, l’un des participants venus de la Busserine, formule une demande très claire : «Je veux que le voyage des proches soit intégralement pris en charge par l’État français comme cela a été le cas au Brésil. Je veux que vous demandiez à ce que Nicolas Sarkozy vienne rencontrer la communauté, ici, à Marseille.» Salord opine : «Tout cela me paraît très raisonnable. Je ferai des demandes en ce sens.»

Une jeune femme prend à son tour la parole. Coiffée d’un foulard vert, Zainaba est en deuil. Elle a perdu sa sœur et ses deux enfants dans la catastrophe. «En tout, 18 personnes de mon village ont péri là-bas. Ils ont tous payé un billet pour finir en mer. Nous savions tous que cela allait finir comme ça. Le prix est trop cher. 152 morts. On oublie que nous sommes des êtres humains. Pour moi, le gouvernement comorien n’existe pas. Là où nous mangeons, là où nous vivons, là où nous dormons, c’est en France. Nous sommes Français. Je veux que l’État de mon pays prenne des mesures pour mettre fin à ça. Cela fait un an que nous nous battons pour avoir une compagnie sûre. C’est la seule manière pour que nos morts dorment en paix, pour qu’ils restent dans nos mémoires.»

À l’issue de la réunion, Nassurdine Haidari et Stéphane Salord ont demandé à l’État français d’affréter un avion pour les familles des victimes. Ils ont également demandé à rencontrer le président de la République. Dès jeudi, des actions de boycott seront entreprises contre les vols Yemenia en partance de Marseille. Pour que cessent les vols de la mort.

Photos: Jean-Paul Duarte (Collectif à-vifs)

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Benoît Gilles -


Réactions des internautes

Romuald
Jeudi 2 Juillet 2009, 11:55
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Je comprends la douleur de ces familles d'autant plus que j'en ai vu passer quelques unes par mon terminal, et qu'on voit régulièrement les Comoriens partir chez eux, mais ce qui me pose interrogation, c'est pourquoi tous ces gense continuaient, malgré la connaissance du danger, malgré les conditions déplorables, malgré la cherté des billets, à aller aux Comores?..

C'est triste à dire, mais le bloquage des vols, peut-être n'aurait-il fallu pas attendre un drame pour le faire?
Et, côté Etat français/UE, il aurait fallu se montrer beaucoup plus coercitifs contre cette Cie yménéite.


Bref, l'Etat français est pointé du doigt, mais passagers refusant d'embarquer dans ces conditions (connues) plus que lamentables, pas de drame......

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Benoît Gilles
Jeudi 2 Juillet 2009, 14:53
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Une colère ancienne
Bonjour Romuald,
si les Comoriens de Marseille n'ont pas renoncé à embarquer sur les appareils de Yemenia, c'est pour plusieurs raisons.

La première est qu'ils embarquent en France sur des avions corrects. Ce n'est qu'à Sanaa que Yemenia a pris l'habitude de les embarquer sur des avions qu'ils qualifient de "poubelles".

Ensuite, cela fait des années, que la communauté se bat pour avoir une compagnie qui assure la liaison en toute sécurité et sans les flinguer au niveau tarif.

La raison la plus commune est la cherté des billets. Yemenia est encore la compagnie la moins chère. Ils n'ont pas tous les moyens de voyager avec Air Austral. Ils économisent souvent des années pour pouvoir partir et quand le voyage se fait en famille, le coût est multiplié. D'où la recherche de la compagnie la moins chère.

Je pense que pour certains voyageurs, il y a aussi la fatalité qui joue.

Voilà... Maintenant, ils attendent des deux gouvernements qu'ils recherchent des solutions. La France est le pays du monde qui compte le plus de Comoriens et de binationaux (avec Madagascar). Tout le monde y a de la famille. D'ailleurs, quand un expatrié n'est pas en France, on dit qu'il est "à l'extérieur". Et la France a pris dans son giron, un bout des Comores, Mayotte. Cela vaut bien de se mettre autour d'une table pour tenter de trouver une solution, humainement et économiquement acceptable.

Enfin, dernier point, la compagnie qui assure la liaison entre les trois îles est elle-même blacklistée. Comme quoi, ils ont l'habitude des avions peu sûrs.

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