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Une Française en Syrie - Episode 3/3

Jeudi 12/01/2012 | Posté par Christine Gorce

Difficile de savoir ce qu’il se passe réellement en Syrie. Fin décembre, à Aubagne, Marie-Ange Patrizio témoignait de son récent voyage dans le pays. Christine assistait à la soirée. Elle nous relate ici ce récit, bien loin de la version officielle. Nous vous le présentons cette semaine en trois volets. Libre à chacun de se faire sa propre opinion.

Six jours (dont un passé à Beyrouth), c’est peu. Mais tous les récits ne sont-ils pas libres et égaux en droit, surtout quand ils font pièce à une version unique proclamée par les médias officiels ? De son séjour, Marie-Ange Patrizio formule un récit minutieux, attentif à la parole recueillie, aux ambiances et aux détails qui dressent peu à peu un contrepoint au récit médiatique officiel.

N’y aurait-il donc pas d’opposition anti-Assad en Syrie ? Pour M-A Patrizio, accompagnée à Aubagne d’une opposante syrienne en exil, il existe une opposition du “Dialogue national”. Celle-là même qui réclamait des réformes à l’intérieur du régime - assorties d’une nouvelle constitution - et qui a cessé de manifester depuis que le dialogue s’est officialisé.

L’ensemble de la population - simultanément touchée par les sanctions économiques contre le pays, les exactions des bandes armées et la menace d’une intervention de l’OTAN - est de plus en plus fondée à redouter un destin à l’irakienne ou à la libyenne, qui la plongerait dans la violence tout en la dépossédant de sa souveraineté.

C’est dire que le schéma d’une population martyrisée par les forces de sécurité est au moins partiel. Lors d’une entrevue à Baniyas avec des témoins (civils) et victimes (militaires) de l’embuscade du 10 avril 2011 menée par un groupe armé contre un convoi de 105 soldats, M-A Patrizio consigne le témoignage du sergent Jihad Mohamad, amputé des deux jambes après avoir sauté sur un engin explosif.

Celui-ci, pour préserver ses troupes, s’est jeté sur une bombe au vu des dégâts provoqués par la précédente. Ses hommes avaient avait reçu ordre de ne pas riposter. 51 victimes en tout (tués et blessés), prises sous un feu nourri qui a empêché de les secourir : les soldats qui n’étaient pas blessés ont pris la fuite.

Selon le sergent, “il y avait déjà eu des attaques qui avaient entraîné les consignes de ne pas tirer”et de même lors des manifestations. La jeune femme syrienne présente ce soir-là confirme : son neveu est dans l’armée, il affirme qu’il se rendait aux manifestations sans armes.


Une “insurrection” téléguidée ?
Qui sont au juste ces insurgés en armes ? Selon les uns, des soldats entraînés par l’émir du Qatar (propriétaire de la chaîne Al-Jazeera et grand ami de la France qui avait déjà soutenu l’insurrection libyenne), pour d’autres, des forces spéciales entraînées en Turquie par le général Charles Cleveland, artisan de la “guerre subrogée”en Irak.

Ou encore des combattants djihadistes d’Abdelhakim Belhaj, gouverneur de Tripoli et ex-leader d’Al Qaïda en Libye, selon une version confirmée par le Figaro, qui parle d’islamistes libyens exportant leur “révolution” en Syrie. Des civils agressés ont évoqué des Irakiens, des Jordaniens ou des Libyens reconnaissables à leur accent, ainsi même que des Pachtounes...

Comment parler de “guerre civile” dans ces conditions, où la composante extérieure de l’agression ne fait plus guère de doutes ? Le problème, justement soulevé par M-A Patrizio, est celui des méthodes d’information mises en œuvre dans une situation de crise presque complètement désertée par la presse étrangère.

D’un côté le régime de Damas accuse les exactions des terroristes salafistes tout en minorant le “printemps syrien” (au profit de l’union nationale), de l’autre les insurgés accusent la chabihah (une milice gouvernementale “fantôme”) de perpétrer ces mêmes exactions pour le régime.

Les médias occidentaux quant à eux, lorsque ils ne rapportent pas des images volées sur fond de déclarations anonymes, se reposent sur des témoignages sollicités à distance ou sur les chiffres fournis par l’OSDH, un “Office Syrien des Droits de l’Homme” basé à Londres et dirigé par les Frères musulmans, qui inspire les rapports de l’ONU.

Entre une propagande de guerre qui ne dirait pas son nom et les campagnes de communication d’un régime aux abois, toute réalité peut être vécue comme infiniment réversible. En attendant, ce qui ne fait plus de doute c’est la confessionnalisation de plus en plus marquée de l’insurrection dans un pays multi-confessionnel où les civils - et non plus seulement le régime - risquent de payer le prix fort.


*Manilo Dinucci explique dans un article paru dans le quotidien italien "Il Manifesto", et traduit par M-A Patrizio, qu’en Irak, "la guerre est subrogée", autrement dit, elle est menée par des forces spéciales qui se substituent aux armées traditionnelles. Selon le journaliste italien, un manuel de l’US Army détaille et définit “la guerre subrogée pour le 21ème siècle” : "une guerre menée en substituant aux forces armées traditionnelles, qui interviennent ouvertement, des forces spéciales et agents secrets qui agissent dans l’ombre, avec le soutien de forces alliées, de fait sous commandement étasunien.(...) Au Kurdistan irakien opèrent depuis 2003 des forces spéciales étasuniennes, sous les ordres du général Charles Cleveland. Celui-là même qui -révèle le journal égyptien al-Arabi- entraîne et dirige aujourd’hui en Turquie les commandos de l’ “armée syrienne libre” pour la “guerre subrogée” contre la Syrie."






Illustration : Sabine Réthoré



Marie-Ange Patrizio est psychologue et traductrice, militante anti-impérialiste et contributrice à Comaguer (“Comprendre et agir contre la guerre”).
Consulter cette page pour lire l’ensemble de ses témoignages.


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